Par Stéphane Lagarde
Le post est signé d'un certain « mo li hua ». Comme pour les manifestations la semaine dernière, il a été publié mardi 22 février sur le site Boxun.com, un forum sinophone installé aux Etats-Unis. Le pseudo était facile à trouver. En chinois, « mo li hua » signifie « fleur de jasmin ». Et ce sont ces fameuses fleurs venues des révolutions arabes que les censeurs ne veulent pas voir fleurir sur la toile en Chine. Les termes « Tunisie », « Egypte », « jasmin » et « démocratie » étaient déjà bannis des sites participatifs. Ils sont désormais prohibés sur les SMS. A ce rythme là, c’est le mot « dimanche » qui pourrait bientôt disparaître des forums. Le 7ème jour de la semaine étant devenu le jour de la contestation selon les auteurs anonymes de l’appel. Un texte qui a été reposté depuis sur différents sites basés à l’étranger explique le China Digital Times dont celui de Human Rights In China.
Des sourires plutôt que des slogans
Comment manifester face à des dizaines de milliers de policiers mobilisés comme c’était le cas dimanche dernier ? En réalité le texte n’appelle pas à manifester mais à venir « flâner », à « regarder » ou tout simplement à « passer à proximité » des 23 lieux de rassemblement annoncés. L’objectif est désormais de répéter ces mouvements de protestation pacifique tous les dimanches : « Tant que vous serez présent, ce gouvernement autoritaire tremblera de peur ». Dans le calme et avec le sourire : « Venez sans armes, promenez-vous et souriez ! Les sourires sont plus forts que les cris et les slogans ». Des sourires qui n’ont visiblement pas amusé les autorités. Depuis une semaine les arrestations et les assignations à résidence se multiplient. Selon les groupes de défense des droits de l’homme, des dizaines de dissidents, des avocats et des activistes du net ont été interpellés ces derniers jours. Et notamment Ran Yun Fei selon le site Boxun. Ce célèbre bloggeur du Sichuan (centre) s’était fait connaitre en publiant des témoignages des acteurs du Printemps de Pékin. Les arrestations ont lieu dans tous le pays. Samedi dernier c’était à Harbin (nord). Liang Haiyi « une chômeuse de 35 ans a été interrogée et emmenée menottes aux poignets. Son ex-mari a reçu une notification officielle disant qu’elle était accusée de subversion » a précisé l’avocat Liang Xiaojun à l’Agence France Presse. Le site Boxun affirmant quand à lui avoir subi une violente attaque informatique sur son site basé en Caroline du Nord.
Des failles dans la muraille
Pour échapper aux cybers censeurs, les blogueurs chinois profitent des failles de la « grande muraille informatique », la première astuce consistant tout simplement a faire allusion aux protestations sans même les nommer. La technique avait déjà été employée après la cérémonie de remise du Prix Nobel de la Paix à Liu Xiaobo. Emprisonné, le dissident chinois n’avait pas pu se rendre à Oslo. Une série de chaises vides avaient alors envahi les réseaux sociaux. Même chose aujourd’hui avec ces photos de Hu Jintao, un collier de fleurs blanches autour du cou. Difficile en effet de censurer l’image du président chinois même avec un collier de jasmin. La photo étant probablement d’ailleurs extraite d’une vidéo qui a recommencé à circuler lundi dernier.
Hu Jintao chante le Jasmin lors d’une visite au Kenya en 2006. On y retrouve le président chinois dans un reportage de la télévision CCTV daté de 2006. Hu Jintao est en visite au Kenya. Il est reçu par les étudiants de l'institut Confucius de Nairobi. Face au président, les jeunes Kenyans entonnent une chanson du répertoire traditionnel. Sourire de l’invité qui reprend l’air avec entrain. Normal, c’est l’un des morceaux favori du chef de l’Etat chinois. La chanson loue la beauté et le parfum de la fleur jasmin. Une allusion évidente aux « manifestations du dimanche ».
Twitters américains contre micro blogs chinois
Là-encore, difficile pour les autorités d'interdire l'accès à une vidéo de CCTV relatant un déplacement présidentiel. Mais le gouvernement central ne compte pas en rester là et ne veut surtout pas que le phénomène prenne de l'ampleur. Trois jours après les premiers rassemblements, le porte-parole de la conférence consultative du peuple chinois (CCPC) a été le premier officiel à évoqué publiquement les manifestations souligne le South China Morning Post. « La révolution du jasmin n'a aucune chance en Chine, estime Zhao Qizheng qualifiant cette éventualité, d’irréaliste et d’absurde ». Les autorités chinoises mettant en garde par ailleurs contre « certaines forces occidentales hostiles » prévient le Global Times qui incite ses lecteurs à se prémunir des « informations négatives ». Il faut dire que beaucoup de messages présents sur les fils Twitter consacrés aux protestations chinoises sont en anglais. Twitter étant censuré en Chine, de nombreux tweets arrivent de Hong-Kong, de Taiwan et même des Etats-Unis. Une aubaine pour les partisans de la théorie d’un complot venu de l’occident. Eux aussi ont leur vidéo qu’ils font tourner en boucle sur les blogs.
On y découvre cette fois Jon Huntsman accroché par Big Brother. La capitale chinoise étant aujourd’hui aussi vidéosurveillée que Singapour, Londres ou Levallois Perret, il est presque impossible d’échapper aux caméras installées jusqu’aux ruelles du vieux Pékin. Et c’est devant le restaurant Mac Donald de l’une des rues les plus commerçantes du centre ville que l’ambassadeur des Etats-Unis a été filmé. Malgré ses lunettes noires, l’homme est interpellé en anglais probablement par un agent en civil : « Voulez-vous que la Chine sombre dans le chaos ? » Jon Huntsman se trouve alors au milieu des manifestants, au point de rassemblement annoncé sur internet. L’ambassadeur pourra se consoler en constatant ce jeudi que son nom est désormais lui aussi proscrit des forums et des chats.
La bataille du net entre Washington et Pékin se poursuivant en coulisses, Hillary Clinton et plusieurs membres de l’ambassade américaine ont ouvert des micros blog en Chine. Les discussions y ont été immédiatement interdites par les autorités chinoises. Quant au discours de la Secrétaire d’Etat américaine sur la liberté d’expression, le président Hu Jintao y a répondu samedi en prônant un renforcement du contrôle de l’information. Une montée en puissance de la censure qui a fait dégringoler la cote de la plus grande plateforme de microblogging du pays. A en croire les analystes de la Deutsche Bank, sina.com devrait voir son activité ralentir sous la pression des cybers censeurs. L’action sina a ainsi perdu plus de 11 % depuis mardi dernier. Ce qui ne veut surtout pas dire d’ailleurs que le monde de la finance croit à une révolution à la tunisienne en Chine. Les mêmes experts conseillant d'attendre la fin des révoltes du jasmin au Proche et au Moyen-Orient avant de réinvestir dans le média électronique chinois.