Ce 31 janvier 2011, s’est ouverte à Naypyidaw la séance inaugurale des Parlements national et régionaux élus le 7 novembre dernier lors d’élections controversées. Il s’agit de la dernière étape du processus politique initié par la junte birmane qui continue de contrôler tous les rouages du pouvoir.
Si la junte estime que ce nouveau mandat législatif marque un nouveau départ pour la démocratie, pour les opposants le Parlement n’est qu’une mascarade.
Pour le chercheur Renaud Egreteau, spécialiste de l’Asie du Sud Est, une véritable transition politique est en cours en Birmanie, grâce notamment aux quatorze Parlements régionaux dans lesquels sont représentés les minorités ethniques de la mosaïque birmane, Parlements qui pourraient bien constituer les prémices d’une société démocratique. Intrerview de Renaud Egreteau, chercheur à l’université de Hong Kong, spécialiste de l’Asie du Sud-Est.
RFI : Comment qualifiez-vous cet évènement ? Est-ce un tournant pour le pays ?
Renaud Egreteau : C’est une étape, c’est clair, ce n’est pas une mascarade comme on l’entend très souvent. Je pense qu’on a tort de qualifier ces récents évènements, à la fois les élections et la réunion des Parlements (une vingtaine va être réuni), de non-évènement, puisqu’il y a une véritable transition qui est en train de se produire en Birmanie. C’est une transition interne au régime ; ce n’est pas démocratique mais c’est une transition politique. Et la réunion de ce Parlement national et des Parlements régionaux, constitue une étape de cette transition.
RFI : Quand on parle de mascarade, c’est en raison des conditions dans lesquelles s’est tenu le scrutin et de l’aspect peu démocratique de cette échéance électorale où, on le sait, un quart des sièges était réservé à l’armée, et où le parti au pouvoir a pu s’arroger la grande majorité des sièges.
R.E. : Il faudrait être naïf pour croire que, du jour au lendemain, une armée qui domine l’ensemble des institutions, de l’économie et de la société birmane, décide de lâcher prise et d’entamer véritablement des réformes démocratiques. D’un autre côté, tout ne va pas de soi, dans les élections et dans le contexte de l’après élection, puisque la plupart des nouveaux députés mais aussi de la nouvelle génération de l’armée reste dans le flou, puisque les repères sont en train de bouger.
Certes, l’armée conserve sa mainmise sur le processus décisionnel, mais il sera beaucoup plus compliqué avec le Parlement national et les 14 Parlements locaux, de gérer l’ensemble des politiques du pays, au moins au cours de la prochaine législature.
RFI : Que voulez-vous dire par « plus compliqué » ? Y-aura-t-il un pouvoir éclaté entre un futur gouvernement civil et l’armée, avec Than Shwe qui reste à sa tête ?
R.E. : Exactement. Plusieurs points de tensions pourront apparaitre dans les mois ou plutôt dans les années à venir. D’une part, une tension entre civils et militaires, au sein même du prochain régime. Une tension entre une armée active et une hiérarchie dominée par quelques caciques du régime actuel. Et aussi les rapports avec cette nouvelle élite civile qui tourne autour de ce parti, que l’on qualifie de pro-junte, à savoir le Parti pour le développement et la solidarité de l’Union (USDP). Ce parti est très hétéroclite, il n’est pas uniquement composé de militaires ou d’anciens militaires, mais aussi d’homme d’affaires, d’avocats, et de notables locaux. Ces derniers n’ont pas des intérêts qui coïncident forcément avec ceux de l’armée en place.
De nouvelles tensions pourront très bien apparaître dans les mois ou les années à venir sur fond de corruption, de lutte d’influence locale et économique.
Et enfin, il y a aussi un point prévu par la Constitution de 2008 et qui n’était pas prévu par les précédentes Constitutions militaires, c’est la réunion des Parlements locaux. Ces quatorze Parlements régionaux, qui se réunissent ce 31 janvier 2011, ne sont pas uniquement dominés par l’armée et par le parti pro-régime de l’USDP. Dans au moins sept de ces Parlements régionaux, il y a une majorité de partis ethniques et de partis plus ou moins éloignés des centres d’intérêts du pouvoir actuel. C’est peut-être par là que commenceront les premiers débats ou les premiers pas démocratiques de la Birmanie.
S’il doit y avoir une démocratisation avec ce nouveau type de gouvernance, il y a de fortes chances que cela commence par le bas, par les zones ethniques, par les Parlements locaux et non pas par le Parlement national, qui est dominé par l’armée et l’USDP.
RFI : Depuis quelques jours les députés circulaient dans le pays. Des témoins parlent d’un important dispositif de surveillance, de check-points etc. Que craint le régime en ce jour de convocation des Parlements ?
R.E. : Je ne pense pas que ce soit véritablement une question de sécurité. Je pense que le régime actuel souhaite effectivement encadrer l’ensemble du processus. Il veut que cela se passe de la façon la plus fluide possible. Cela passe par un encadrement des députés. Un millier va tout de même être réuni au même moment. C’est un évènement rare, qui n’a pas eu lieu depuis plus de 20 ans, ou plutôt qui n’a jamais eu lieu dans ces proportions, vu le nombre de députés. Le régime souhaite aussi médiatiser à sa façon cet évènement et il a intérêt à précisément encadrer ce processus.
RFI : On dit que les communications seront impossibles avec les députés. On ne sait pas s’ils vont siéger à huis clos, ou s’il y aura publicité des débats.
R.E. : Il n’y aura pas de publicité des débats, du moins dans un premier temps. Que ce soit dans les Parlements locaux ou dans le Parlement national. L’ensemble du processus ressemble, il est vrai, à celui de la Convention nationale qui a été reniée deux fois ; une première fois au début des années 1990 et une seconde fois, entre 2004 et 2007.
Le Parlement national sera à Naypyidaw et les gouvernements locaux seront ensuite dispatchés dans les 14 Etats et divisions du pays. Même s’il n’y a pas publicité des débats cela ne veut pas dire que le millier de députés ne pourra pas dialoguer, échanger. Et c’est là l’un des points sur lesquels compte la très faible opposition qui a obtenu des voix et des sièges. C'est-à-dire essayer au moins d’établir de nouveaux échanges et comprendre comment va fonctionner ce nouveau Parlement.
Essayer d’établir de nouveaux liens et de nouvelles relations avec les nouveaux députés militaires nommés, mais aussi avec ceux, au niveau local, qui appartiennent à l’USDP et qui ne sont pas forcément les plus pro-armée ou pro-junte. Et ce sera très certainement le cas dans les Etats Shan et Kachin, où, même si cela n’apparaîtra pas dans l’immédiat, les débats auront très certainement lieu entre ces nouveaux députés.
RFI : Comment percevez-vous aujourd’hui l’opposition birmane ? Est-elle divisée entre ceux qui ont participé au processus électoral et ceux qui l’ont boycotté ? Peut-elle se ressouder ?
R.E. : Le mouvement de l’opposition est toujours morcelé, et il l’a été et l’est encore plus du fait des prises de positions divergentes liées à la participation ou non aux élections et donc à l’ensemble du processus proposé par la junte. Et je ne vois pas, y compris via la figure d’Aung San Suu Kyi, comment cette opposition pourrait être aujourd’hui réunifiée et structurée autour d’un projet commun. Non, une partie de cette opposition participe au processus proposé par le régime, donc siège aux différentes assemblées.
RFI : Mais vous la considérez tout de même comme une véritable opposition ?
R.E. : Oui, puisque vous n’avez pas simplement les quelques députés qui sont aux Parlements nationaux. Vous avez de très nombreux députés de l’opposition, et ils sont même la majorité, qui sont membres des minorités ethniques et qui siègent dans les Parlements régionaux. Au sein des 14 Parlements qui se réunissent en plus du Parlement national, et de la chambre haute et de la chambre basse, vous avez une majorité de députés qui peuvent potentiellement former une opposition et ne pas nécessairement suivre le parti majoritaire USDP au niveau national. Oui, il existe une opposition, elle n’est pas forcément birmane, urbaine ou composée uniquement d’anciens de la LND ( Ligue Nationale pour la démocratie) qui ont fait sécession.
Donc oui, il y a une opposition qui est en train de naître et qui est différente de celle de Aung San Suu Kyi.