En Chine, opéra, jonques et « Meshrep » candidats à la liste du patrimoine immatériel de l’Unesco

C’est un véritable inventaire à la Prévert qui est présenté ce lundi 15 novembre 2010 au comité de l’Unesco réuni jusqu’à vendredi à Nairobi au Kenya. Au total, 51 dossiers ont été envoyés par les Etats membres de cette convention signée par 132 pays en 2003. La lutte à l’huile considérée comme un sport national en Turquie, la fauconnerie arabe, le flamenco espagnol et la gastronomie française pourraient ainsi rejoindre cette semaine la liste du patrimoine immatériel et bénéficier d’une nouvelle mise en lumière. Certaines délégations n’hésitent pas d’ailleurs à arriver avec plusieurs candidatures sous le bras, comme les Chinois qui présentent cette année pas moins de 5 dossiers

Si vous ne connaissez pas encore le terme de « moxibustion », c’est le moment de jeter un œil à votre dictionnaire ou de continuer à lire cet article. La « moxibustion » fait partie des candidatures chinoises à l’Unesco cette année au titre des éléments « représentatifs » d’une culture. Aussi connus des Asiatiques que l’acupuncture, ces petits cônes d’armoise que l’on pose sur le corps et que l’on enflamme, sont un classique de la médecine traditionnelle en Chine et peuvent donc légitimement concourir au même titre que l’Opéra de Pékin lui aussi candidat cette année. Deux listes sont en réalité étudiées au titre de cette convention. La première, la plus fournie, dont on vient de parler et la liste de sauvegarde d’urgence qui demande un engagement des Etats. « Les listes de sauvegarde sont proposées par les Etats eux-mêmes explique Cécile Duvelle, responsable de la section des biens immatériels à l’Unesco. Ce sont les pays qui décident de proposer des candidatures qui présentent un risque de disparition certain. Et c’est ensuite le comité qui est chargé de vérifier si ces éléments font partie effectivement du patrimoine immatériel et si les dangers exposés sont bien réels ».

« Meshrep » interdit

Les Etats proposent et le comité de l’Unesco dispose avec parfois des suggestions très marquées politiquement comme c’est le cas avec le « Meshrep » qui fait partie des trois candidatures présentées par Pékin dans le cadre de la convention de sauvegarde d’urgence au même titre que « la technique des cloisons étanches des jonques chinoises » et de « l’imprimerie à caractères mobiles en bois ». Ces rassemblements traditionnels et populaires dans les villages après la récolte constituent l’un des fondements de la culture de l’ethnie ouïghour en Chine. Or ces réunions sont très contrôlées par le gouvernement central, elles ont même été interdites dans les années 1990 quand l’islam s’est politisée au Xinjiang, certains de ces rassemblements étant aussi devenus un moyen de revendications pour la communauté musulmane turcophone. Ouïghours mon désamour, c’est pourtant cet élément du patrimoine immatériel qui est présenté aujourd’hui à la réunion de Nairobi et que les autorités chinoises s’engagent à valoriser tout en favorisant sa transmission. Un paradoxe ? Pas forcement, à y regarder de plus près. Selon certains défenseurs de la culture ouïghoure ce n’est pas le « Meshrep » autrefois interdit qui est proposé aujourd’hui à l’Unesco, mais bien un spectacle beaucoup plus folklorique. Un « Meshrep » sinisé pour touristes, axés sur les chants et les danses et régulièrement présentés par les télévisions en Chine. Un « Meshrep » dépourvu de toutes connotations politiques et qui au même titre que la musique ouïghoure, déjà classée par l’organisation onusienne, pourrait figurer dans la convention d’ici à vendredi.

Imprimerie à caractères mobiles en bois

« La Chine a un très grand souci de son patrimoine immatériel poursuit Cécile Duvelle. C’est un pays qui a de nombreux inventaires à la mesure de sa population très nombreuse et qui fait preuve d’une grande responsabilité en présentant autant de candidatures ». Une responsabilité et une gravité observée par Zhang Lian Zhang quand il défend le dossier de « l’imprimerie à caractères mobiles en bois ». Cette technique a succédé aux petits blocs d’imprimerie réalisés dans un mélange de terre cuite et de porcelaine fondus au feu mis au point par le chinois Bi Sheng. Elle a besoin de nouveaux travaux de conservation affirment les autorités. « La découverte d’éléments matériels remontent à 1991 nous devons poursuivre les recherche » estime Zhang Lian Zhang. « Les caractères en bois d’imprimerie étant plus fragiles que les pièces de métal laissées par les moines bouddhistes coréens -qui ont longtemps été considérés comme les précurseurs de Gutenberg- » poursuit le directeur du musée de l’imprimerie en banlieue Sud de Pékin.

« Les caractères mobiles ont été inventés par les Chinois. C’est Bi Sheng qui a créé cette technique sous la dynastie Song, entre 1041 et 1048. Les Coréens ont également mis au point des caractères mobiles, mais en bronze et bien plus tard. Il y a donc d’abord eu ces caractères en céramique qui sont apparus en Chine. Puis en 1297, un certain Wang Zhen a fait progresser cette invention en utilisant des caractères d’imprimerie en bois. On en a retrouvé quelques-uns lors de fouilles dans la province de Gansu, au nord-ouest de la Chine, en 1991. Les Chinois ont donc laissé quatre grandes inventions : le papier, la boussole, la poudre à canon et l’imprimerie ».

Depuis 2003, cette liste très hétéroclite a déjà accueilli 166 représentants d’exceptions. Le carnaval d’Alost en Belgique, les tapis d’Azerbaïdjan mais aussi les savoir-faire traditionnels du tissage des tapis iraniens du Fars et de Kashan, le pain d’épices croate, la danse des ciseaux au Pérou, sont sur les rangs pour les rejoindre.

Inflation des candidatures

Au total, 51 candidatures sont sur la table des discussions à Nairobi. Une inflation de candidatures qui a pu susciter quelques sourires, même si pour l’instant depuis 7 ans, les propositions ne sont venues que de 77 pays membres de la convention. « Il y a probablement une forme d’interrogation du grand public qui est marqué par ce qui se passe sur la liste beaucoup plus sélective du patrimoine mondial affirme Cécile Duvelle. Il n’y a que quelques rares élus à la liste du patrimoine tangible naturel et culturel, alors qu’ici nous ne sommes pas du tout dans la concurrence, au contraire. Les rédacteurs de la convention du patrimoine immatériel ont voulu la développer dans un esprit différent. Ce ne sont pas les meilleurs qui sont inscrits mais ceux qui sont considérés comme représentatifs ou ceux qui sont considérés comme en danger. Les chiffres ici ne veulent rien dire. Les danses, les chants et les savoir-faire traditionnels représentatifs du patrimoine de l’humanité sont nombreux et, malheureusement, beaucoup sont également menacés ».

Signe de la vitalité des cultures face à la mondialisation ou au contraire craintes pour un patrimoine menacé par l’uniformisation des cultures, les membres de l’Unesco n’ont en tout cas pas à se plaindre d’une standardisation des goûts et des cuisines. Point de fast- food à la réunion de Nairobi ! Au menu du comité cette année : « La cuisine traditionnelle mexicaine », le « régime méditerranéen » présenté par la Grèce, l’Italie et le Maroc ainsi que « le repas gastronomique des Français ». Soutenue par le président Nicolas Sarkozy au salon de l’agriculture en 2008, la candidature française ne fait pas d’ombre aux dossiers avancés par Pékin. Les Chinois continuent à manger avec des baguettes et n’ont pas fait cette année de proposition en matière culinaire.

 

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