De notre correspondant à Pékin
Des poissons en pierre qui semblent tout juste sortis de la rivière, des lions imposants qui regardent les visiteurs d’un air majestueux comme ils l’ont fait il y a 150 ans lors de l’arrivée des soldats français puis britanniques, au total 85 sculptures sont exposées dans ces « 10 000 jardins de la clarté parfaite » des anciens empereurs au nord-ouest de la capitale chinoise.
L’exposition a été inaugurée cette semaine, elle restera de manière permanente à l’entrée de ces 350 hectares réaménagés en parc public où désormais les Pékinois aiment à se promener le week-end. Ces trésors ont été « oubliés » par la troupe anglo-française lors des deux jours de pillages qui ont précédé l’incendie des Palais de l’empereur Yongzheng le 18 octobre 1860. Les anciennes puissances coloniales venaient alors de s’emparer de la capitale et de défaire l’empire Qing suite à la bataille victorieuse de Palikao le 21 septembre 1860.
Volées par des paysans des alentours, puis revendues à des collectionneurs, ces pièces ont été récupérées par l’administration municipale et le bureau de gestion du site. Elles témoignent de la majesté de ce qui était autrefois le Yuangming Yuan, ce « Versailles chinois » détruit en quelques jours lors de l’un des épisodes parmi les plus tragiques de la seconde « guerre de l’opium » qui a opposé les troupes anglaises et françaises à la cavalerie mandchou.
Cixi l’impératrice
A quelques pas de ces pierres exposées en plein air, d’autres œuvres font elles aussi l’objet d’une exposition. Dans un petit bâtiment situé à l’entrée du parc, quelques porcelaines, des bronzes et des objets d’ornement sont alignés soigneusement derrière des vitrines. « C’est ici tout ce qu’on a retrouvé sur le site », explique la responsable de la restauration du bureau de gestion du parc.
Etalés à plat, les restes des céramiques en morceaux témoignent là encore de cette blessure de l’histoire et d’une culture aujourd’hui disparue. Même chose pour cette bague en jade très bien conservée et retrouvée en 2003 dans l’un des étangs du parc. « La dynastie de Qing a été fondée par les Mandchous », rappelle notre conservatrice. Ce sont des chasseurs qui passaient la plupart de leur temps à cheval et cette bague servait à se protéger le pouce lorsqu’on tirait à l’arc. Mais à partir de l’empereur Qianlong, elle a été portée comme bijou par la Cour ». Seules les céramiques datant de Yongzheng et donc du premier pillage n’ont pas encore été retrouvées.
En 1860, les forces franco-britanniques ont épargné 13 bâtiments royaux situés au bord du lac et donc assez reculés. Ces édifices n’ont pas résisté au deuxième assaut 40 ans plus tard lors de l’invasion menée cette fois par huit pays coalisés (Allemagne, Angleterre, Autriche, Etats-Unis, France, Italie, Russie et Japon). L’exposition raconte d’ailleurs à la fois le drame qu’ont constitué ces événements mais aussi le travail de préservation des lieux. « Dans l’ensemble, le Yuanming Yuan a été très mal préservé, concède Xu Tiebing. Le déclin de l’empire et les bandits ont achevé le travail des anciennes puissances coloniales. Les paysans des alentours et la garde impériale s’étant eux aussi servi même si la destruction principale vient de l’incendie et du premier pillage, poursuit ce professeur au département des relations internationales à l’Université de communication de Chine. Ensuite, l’impératrice Cixi a préféré reconstruire un nouveau Palais à quelques kilomètres (le Palais d’été aujourd’hui visité par les touristes) faisant oublier l’ancien. Le recensement des œuvres des vols et des destructions n’a donc débuté que dans les années 1956 et 1957. Il a été stoppé ensuite par la Révolution culturelle qui n’a évidement rien fait pour arranger les choses. Le véritable travail de restauration a commencé dans les années 1970. »
Buste de Victor Hugo
Finalement, l’un des premiers à avoir reconnu la portée historique de cette destruction figure « dans tous les manuels d’histoire des lycéens chinois », plaisante encore le professeur. Il s’agit évidemment du Français Victor Hugo qui, dans une lettre restée célèbre, dénonçait à son époque les exactions commises par les pilleurs occidentaux. « Il y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde : cette merveille s'appelait le Palais d'été, écrit le poète. (…) Tout ce que peut enfanter l'imagination d'un peuple presque extrahumain était là. (..) Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n'égaleraient pas ce formidable et splendide musée de l'Orient. L'un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l'autre a empli ses coffres ; et l'on est revenu en Europe, bras dessus bras dessous, en riant. (…) Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l'histoire, l'un des deux bandits s'appellera la France, l'autre s'appellera l'Angleterre. » Outre cette présence dans les manuels d’histoire, Victor Hugo a désormais son buste exposé dans les jardins de l’ancien Palais. La sculpture a été offerte ce week-end par la fédération des associations d’amitié franco-chinoise basée à Besançon.
Une « blessure » omniprésente
Un buste de Victor Hugo, des spectacles de danse, des échanges académiques, les commémorations ont été placées sous le très apaisant triptyque de « la paix, la coopération et de l’harmonie ». Contrairement aux années précédentes, la presse officielle ne fait donc pas état ce lundi 18 octobre 2010 des habituelles déclarations et revendications prononcées en pareil cas, même chose sur le programme connu à ce jour, qui ne mentionne à aucun moment la présence de représentants politiques aux manifestations. La volonté peut-être de ne pas froisser les ex-puissances coloniales, la volonté surtout de changer de stratégie. Les revendications nationalistes n’ayant pas permis le retour des objets volés en 1860 par les troupes anglo-françaises et aujourd’hui éparpillés dans les collections européennes, la Chine espère que cette approche plus culturelle des choses donnera d’avantage de résultats.
« Bien sûr que cela reste une blessure, explique le professeur de relations internationales. Ces commémorations ont donc forcément un côté émotionnel. Mais en même temps si on repense à l’ensemble de la ' guerre de l’opium ', il ne s’agit que d’un épisode certes tragique mais pas aussi important que la guerre des boxers ou l’agression japonaise, souligne Xu Tiebing. Dans le passé, les cérémonies étaient l’occasion d’une mobilisation du nationalisme contre l’agression étrangère, aujourd’hui c’est plutôt la construction d’un édifice de mémoire collective et de préservation de notre patrimoine culturel. Ce réveil étant aussi une conséquence de l’enrichissement du pays ces dernières années. Il y a de plus en plus de collectionneurs et de plus en plus de Chinois notamment dans la diaspora à l’étranger qui se sont mis à rechercher ces objets pour les redonner ensuite sous forme de donations aux institutions. »
Tête de rat et de lapin
Le mot d’ordre est au pardon. La conservatrice de la nouvelle exposition, sur l’ancien site du Palais d’été, évite ainsi de trop longtemps s’attarder sur les photos présentées au-dessus des objets retrouvés dans le parc. Parmi ces images, une tête de rat et de lapin. Ces pièces de bronze ont fait beaucoup parler d’elles lors de la vente aux enchères de la collection Pierre Bergé & Yves Saint Laurent, il y a un an. « Le colonialisme est désormais un fait du passé et l’Europe a montré aujourd’hui une autre image, conclut Xu Tiebing. Afin de permettre aux anciennes blessures de cicatriser, ce serait un geste positif si les anciennes puissances coloniales rendaient les objets pillés non seulement à la Chine, à la Grèce mais aussi à l’Afrique, aux pays arabes et à l’Amérique latine. »