Thaïlande: la censure redouble dans les médias et sur Internet

L’étau se resserre sur les médias thaïlandais. L’Etat d’urgence, imposé il y a près de trois mois dans un royaume en pleine crise politique, n’est toujours pas levé. Les conditions exceptionnelles de ce décret ont permis au gouvernement de faire fermer un ensemble de médias, proches ou non de l’opposition. Cette censure est encore plus visible sur la toile, désormais scrutée par un nouveau département « de prévention et d’éradication des crimes informatiques ».

Depuis l’instauration du décret d’urgence le 7 avril, 210 000 sites internet auraient été temporairement bloqués par les autorités thaïlandaises.

Celui de l’organisation FACT, qui a publié ces chiffres la semaine dernière, en fait d’ailleurs partie. Un message d’erreur s’affiche désormais lorsque les internautes cherchent à se connecter à des sites internet proches de l’opposition comme Sameskybooks ou Norporchorusa. Mais la censure touche aussi des médias jugés indépendants, comme celui du Prachathai, des forums, des blogs et certaines pages du réseau social Facebook.

Le mois dernier, le Parlement a donné son aval à la création d’un département de « prévention et d’éradication des crimes informatiques » pour « protéger la monarchie ». Ces nouveaux censeurs du web prévoient de recruter des centaines de volontaires à travers le pays. Une fois formés à une « bonne utilisation d’Internet », ceux-ci seront chargés de repérer et de dénoncer tous les sites jugés inappropriés. « On doit maintenant faire très attention à ce que l’on écrit. Beaucoup d’entre nous se résignent à s’autocensurer », glisse une jeune bloggeuse qui souhaite garder l’anonymat.

Crime de lèse majesté

Car la censure s’accompagne parfois d’arrestations. D’après Reporters Sans Frontières, une dizaine d’internautes sont actuellement sous le coup d’accusations de lèse-majesté, un crime très grave passible de 15 ans de prison. Le bloggeur Suwicha Thakhor a été libéré la semaine dernière après 18 mois derrière les barreaux ; il avait posté sur internet des images tournant la famille royale en dérision.

Le 31 mars, Chiranuch Premchaipoen, directrice du site d’informations Prachatai.com, a été arrêtée puis libérée sous caution pour ne pas avoir retiré assez vite de son site une dizaine de commentaires considérés comme offensants pour la monarchie. « Les lois sur le lèse-majesté et la cybercriminalité servent à contrôler et à intimider les voix indépendantes », s’inquiète Reporters Sans Frontières.

L’Etat d’urgence a considérablement renforcé cette menace. Au-delà des sites internet, il a permis de faire fermer sans décision de justice, sous prétexte « d’atteinte à la sécurité nationale », des dizaines de radios communautaires, une chaîne de télévision pro-chemises rouges et des médias considérés comme neutres. « C’est une dérive incompréhensible, déclare l’universitaire Ubonrat Siriyuvasak. L’Etat d’urgence viole la liberté d’expression, pourtant garantie par la Constitution ».

Une réforme controversée des médias par l’État

Plusieurs ONG et des patrons de presse demandent, sans succès, la levée de ce décret d’urgence. Ils s’inquiètent aussi d’une réforme des médias annoncée par le Premier ministre Abhisit Vejjajiva dans son plan de réconciliation nationale. « Cette réforme doit être pilotée par un organisme indépendant et non pas par le gouvernement (…) si nous ne voulons pas nous retrouver à ses bottes », lance Worawit Sri-anantaraksa, rédacteur en chef du Daily News. Cette proposition de réforme controversée intervient alors que les médias ont été accusés par le gouvernement d’avoir pris parti lors du conflit politique et d’avoir accentué les divisions sociales.

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