Internet en Chine : censure et développement

Le livre blanc sur l’internet publié ce mardi 8 juin par les autorités chinoises souligne à la fois qu’elles garantissent « la liberté d’expression des citoyens, aussi bien que le droit du public de savoir, de participer, d’être entendu et de contrôler ».

Le Livre blanc (La situation de l’internet en Chine) publié mardi 8 juin par le Bureau d’information du Conseil des Affaires d’Etat (gouvernement) inspire la tension et les contradictions qui agitent les dirigeants chinois face à l’un des aspects les plus menaçants de la mondialisation pour la stabilité du régime : la circulation de l’information dans les tuyaux de l’internet, dont ils perçoivent qu’elle pourrait bien échapper à leur contrôle.

Le gouvernement chinois n’a certainement pas les moyens de tenir le peuple chinois à l’écart de l’influence de cet outil. Il déclare d’ailleurs ne pas le souhaiter. La presse officielle chinoise, comme le Livre blanc lui-même, ne tarissent pas d’éloges sur l’utilité incontestable de la « toile », ses influences sur l’économie, la politique, la culture, le développement social, la promotion de l’information. C’est un outil irremplaçable, peut-on lire dans la presse en ligne de ce 8 juin, pour une croissance économique rapide, la promotion des innovations scientifiques et technologiques.

400 millions d’internautes !

Le document affiche donc le souci des autorités de développer son usage pour atteindre 45% de la population d’ici cinq ans et, surtout, de combler « le fossé numérique » entre villes et campagnes. Aujourd’hui, la population urbaine représente 72,2% des abonnés, contre 27,8% pour les ruraux. Les déséquilibres sont également de nature géographique avec une disproportion remarquable entre les provinces orientales et occidentales : tandis qu’à l’est 40% de la population est connectée, à l’ouest c’est moitié moins (21,5%).

L’internet a pris en Chine des proportions d’autant plus considérables que le réseau recueille un succès immense depuis son introduction dans le pays. Son usage connaît un niveau de croissance extraordinaire, évalué à près de 32 millions de nouveaux abonnés chaque année. Selon le Livre blanc, fin 2009, le nombre d’internautes chinois s’élevait à 384 millions, soit 28,9% de la population. Il a manifestement permis aux Chinois de communiquer hors des canaux officiels. Il est donc trop tard pour le faire disparaître du paysage.

Autoriser, interdire

Elle-même usager de l’internet, à la fois émetteur et récepteur, la classe dirigeante chinoise n’a pas le désir non plus de se priver des commodités à la fois commerciale et politique de réseau. Elle navigue donc à vue dans un réseau de contraintes, balloté entre deux pôles : autoriser, interdire. Au final : surveiller.

Pour se prémunir contre les désordres, et en retarder les inéluctables échéances, le régime s’emploie donc à ériger de nouvelles « Murailles », appelées ici livre blanc, visant à encadrer la liberté numérique. Plusieurs organisations de défense de la liberté d’expression ont placé la Chine sur la liste des pires ennemis de l’Internet. Le Comité de protection des journalistes ou Reporters sans frontières publie régulièrement des enquêtes sur l’incarcération d’internautes coupables d’avoir diffusé sur la « toile » des textes critiques à l’égard des autorités.

C’est au nom de la sécurité des citoyens, et en particulier des mineurs, que le gouvernement chinois justifie la nécessité de réguler l’information sur la toile. Selon le Livre blanc, les mineurs sont parmi les plus nombreux à utiliser l’internet. Ils constitueraient le tiers des 384 millions d’abonnés. La question de la protection des jeunes est au cœur du dispositif de restrictions. La loi de la République populaire de Chine sur la protection des jeunes stipule notamment que le gouvernement doit prendre des mesures pour empêcher les mineurs d’abuser d’internet. Les autorités ont mis en place des camps de rééducation pour guérir les « accros » du web. Elles disposent d’autre part d’une législation permettant d’interdire à toute organisation ou tout individu de produire, vendre, louer ou fournir des publications électroniques et des informations sur internet comprenant la pornographie, la violence, le meurtre, la terreur, les jeux d’argent ou autres contenus préjudiciables aux mineurs.

Campagne internationale

La Chine veut par ailleurs recruter parmi les nations amies des soutiens pour l’instauration d’une bonne gouvernance internationale de l’internet. Elle appelle notamment l’Organisation des nations unies à jouer pleinement son rôle dans l’établissement d’une structure internationale, officielle et légitime visant à l’administration du réseau au sein de l’organisation internationale. A cet égard, le Livre blanc stipule notamment que « tous les pays ont des droits égaux à participer à l’administration des ressources internationales fondamentales d’internet ».

La Chine a peine à dissimuler, derrière ses déclarations de bonnes intentions, sa volonté de limiter la liberté politique de ses citoyens en restreignant leur accès au « world wide web ». Et elle va donc avoir du mal à se débarrasser de sa réputation de censeur. Il y a quelques mois, la décision du moteur de recherche américain Google de délocaliser ses activités pour protester contre les restrictions dont il était victime n’a fait que renforcer cette réputation. Le mois dernier, c’était la commissaire européenne à la société numérique qui estimait que cette censure devrait être examinée dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, « dans le sens où elle représente une barrière réelle pour la communication », a-t-elle dit.

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