Afghanistan: ouverture dans la violence de la Jirga de la paix

Des tirs ont été entendus ce mercredi matin 2 juin à Kaboul, près du site où se tient la Jirga de la paix, cette assemblée traditionnelle qui réunit les hauts dignitaires du pays. Le président afghan Hamid Karzaï a immédiatement quitté les lieux à bord d'un convoi militaire. La Jirga est composée de notables, chefs tribaux, gouverneurs, hommes d'affaires et divers représentants de la société civile, des refugiés et des femmes.

Près de 1600 participants sont présents à cette 3e assemblée depuis la chute des talibans fin 2001, qui prendra fin vendredi 4 juin. Toutefois, après l'explosion ce mercredi matin d'une deuxième roquette à quelques mètres seulement de la tente où se tient la Jirga de la paix, les participants ont commencé à évacuer les lieux. La tenue de l'assemblée pourrait être compromise. Les attaques ont été revendiquées par les talibans.

Objectif initial de cette Jirga convoquée par le président Karzaï : parvenir à un consensus et essayer de sortir le pays de la guerre. Un énorme défi alors que les talibans ne cessent de se renforcer sur le terrain.

Or, il faut savoir que la Jirga n'est pas faite pour prendre des décisions. Les participants auront l'occasion pendant trois jours d'aborder différents sujets et d'essayer de trouver des solutions. Mais ce qui interpelle c'est que cette assemblée se déroule dans un contexte de contraintes multiples et de jeu politique interne à l'Afghanistan.

Selon Mariam Abou Zahab, politologue et chercheuse au Centre d'études et de recherches internationales, les Etats-Unis ont un double intérêt dans cette Jirga :

« L'intérêt pour les Etats-Unis, c'est d'essayer de renforcer la crédibilité du président Karzaï, mais ils souhaiteraient aussi que cette Jirga soit un non événement, qu'il n'en sorte rien car le moment n'est pas très favorable alors qu'ils vont lancer cette grande opération sur Kandahar. Karzaï ne doit pas faire une ouverture vers les talibans tant que la dynamique n'a pas changé en faveur des américains sur le terrain.

Karzaï veut montrer aux Américains qu'il dirige le processus et aux Afghans qu'il n'est pas une marionnette des Etats-Unis. Il pense à sa survie à long terme, si jamais les Américains échouent et qu'ils sont obligés de négocier, Karzaï pourra toujours dire qu'il voulait la paix depuis très longtemps. »

Pas de paix possible sans le Pakistan

En même temps, ce qui peut se produire, c'est que la Jirga refuse de discuter de la question de la réintégration des talibans avant le retrait des forces étrangères. Et cette exigence pourrait bien heurter les Américains.

La Jirga de la paix ne règlera vraisemblablement pas le problème sécuritaire dans le pays. La paix ne sera possible que lorsque les pays voisins, en particulier le Pakistan, feront preuve de bonne volonté, comme le souligne Mariam Abou Zahab :

«Il est évident que l'on ne peut pas parvenir à un réglement du conflit en Afghanistan sans que les pays de la région, dont le Pakistan, ne soient impliqués et ne soient disposés à cesser de soutenir l'insurrection et de parvenir à un accord. »

Parmi les 1600 personnes qui assistent à la Jirga, 20% sont des femmes. Pourtant, il n'y aura pas de discussions concernant directement les femmes mais ce qui est certain, c'est que la perspective de l'intégration des talibans dans la vie politique inquiète les militantes pour les droits de la femme dans ce pays, comme le laisse entendre Shoukria Haïdar, présidente de l'association Negar, pour le soutien aux femmes d'Afghanistan :

« On avait dit que c’était des talibans modérés, on n’a pas de définition de talibans modérés. Qui sont-ils, combien sont-ils ? Maintenant, inviter les talibans... Quels talibans, qui sont ces gens là, quelles est leur limite d’ouverture, jusqu’à quel point la Constitution de l’Afghanistan sera respectée ? Tout ca, ce sont des questions auxquelles nous n’avons pas de réponses pour l’instant.

On a fait avec tant de mal cette Constitution de l’Afghanistan, pour rétablir les droits des femmes en dans le pays. Ce que nous voulons, c'est que les talibans ne soient pas sur le dos des femmes et sur le dos de la Constitution de l’Afghanistan ».

La population afghane ne s'attend pas à de grandes décisions

Et d'après Shoukria Haïdar, à l'heure actuelle on ne connaît toujours pas la composition de la grande assemblée. Certains membres de l'assemblée nationale vont boycotter la Jirga ainsi que des partis politiques qui ne sont pas d'accord avec la méthode. Il semblerait que l'ordre du jour et les questions qui y seront abordées n'ont pas fait l'objet d'une discussion. Ni l'opposition ni l'Assemblée nationale ni le Sénat n'ont été consultés au préalable, d'où le refus d'y participer.

Quand à la population afghane, personne ne s'attend à de grandes décisions, explique Shoukria Haïdar :

« Ca ne donnera rien du tout. Ils vont faire trois jours de discussions, ils vont faire sortir un certain nombre de décisions qui en fait ont déjà été prises. Voilà, c’est un peu le sentiment général. Il y a d’autres manières aussi pour faire la paix. Je pense que si on luttait contres les inégalités sociales, contre le chômage en Afghanistan, contre la hausse des prix, contre la corruption, on aurait amené la paix beaucoup plus facilement ».

La Jirga de la paix sera suivie par une conférence internationale à Kaboul, en juillet prochain. Les élections législatives se tiendront quant à elles en septembre.

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