Swat, la paix à l’ombre des armes

La vallée de Swat, située à moins de 150 kilomètres de la capitale, a été le théâtre d’affrontements entre les combattants islamistes et l’armée dès 2007. Les talibans menés par le mollah Fazlullah avaient réussi à gagner le soutien d’une partie de la population et à asseoir leur pouvoir dans la vallée où ils ont commis nombre d’exactions (destruction de 400 écoles, pendaisons, interdiction aux femmes de sortir dans les rues). L’armée affirme aujourd’hui que Swat est parfaitement pacifiée. Ce n’est pourtant pas l’avis de toute une partie de la population qui estime que les problèmes de fond qui avaient favorisé l’émergence des talibans sont loin d’être réglés.

Avec notre correspondante à Islamabad, Nadia Blétry

Dans sa maison de la ville de Matta, l’une des anciennes places fortes des talibans de Swat, Khan Lala est solidement gardé. Cet ancien ministre qui a échappé à plusieurs tentatives d’assassinats des talibans est l’une des figures emblématiques d’une vallée qu’il a toujours refusé de quitter.

Derrière de lourds sacs de sable, des sentinelles font le guet aux quatre coins de la propriété. Khan Lala ne partage pas le point de vue des militaires : pour lui la vallée de Swat n’est pas encore totalement pacifiée. « La situation s’est améliorée mais si l’armée part aujourd’hui je considèrerai qu’elle n’a pas achevé sa mission. Il ne fait aucun doute qu’il reste des talibans ici », explique le politicien éprouvé par les violences de ces trois dernières années.

Mohibullah Khan pleure encore la disparition de son frère

L’opération militaire a beau être officiellement terminée depuis le mois d’août dernier, 30 000 soldats sont toujours postés en permanence dans la vallée. Un signe qui ne trompe pas. Tout comme les assassinats ciblés qui se sont multipliés depuis le mois d’avril.

Des meurtres qui visent essentiellement des notables ou d’anciens membres de comité de la paix comme Sher Khan qui vient d’être tué. Mohibullah Khan pleure encore la disparition de son frère. Alors qu’il reçoit les condoléances de ses proches l’homme ouvre une porte qui donne sur une petite pièce : il y a toujours sur le sol, le tapis de prière maculé du sang de son frère, tué à bout portant. « On ne connaît pas l’identité des meurtriers mais comme dans le cas des assassinés ciblés, on soupçonne les talibans ».

Une version que la police conteste. « La vallée est maintenant parfaitement sûre, il n’y a plus de talibans ici. Il n’y a pas d’assassinats ciblés, ce sont des vengeances privées, des histoires d’inimitiés personnelles », explique l’officier de police Farooq, responsable des forces de sécurité à Swat. Ces dernières semaines de nouvelles menaces ont pourtant été proférées contre des vendeurs de CD dans les bazars de la ville ou contre des journalistes.

Les principaux chefs talibans mis en fuite

Mais aujourd’hui les intimidations - moins fréquentes que dans le passé- inquiètent moins. La population de Swat qui considère parfois l’armée comme une force d’occupation se sent protégée par elle. Les principaux chefs talibans ont été mis en fuite et il leur est aujourd’hui difficile de se regrouper. Si les habitants de Swat redoutent le départ des militaires c’est en grande partie parce qu’ils ne parviennent plus à accorder leur confiance à un gouvernement qu’ils estiment incapable de garantir la paix et de réhabiliter la vallée.

Dans l’une des écoles que les talibans ont fait exploser à l’entrée de Mingora, le professeur Mohamed Ishaq fustige le gouvernement : « regardez cette école, ça fait six mois que c’est dans cet état, dit-il en pointant du doigt les bâtiments délabrés et les tentes sous lesquelles s’entassent des centaines d’enfants. Le gouvernement ne fait rien pour nous ».

Mais plus que le manque de moyens, ce qui consterne davantage la population, c’est le manque de volonté politique. C’est ce que dénonce Fazli Ghafoor, président de l’association du barreau à Mingora : « Le gouvernement a promis d’établir à Swat une cour de justice mais ça n’a toujours pas été fait. Le gouvernement nous ment. Ce que veulent les gens c’est une justice devant leur porte, en l’occurrence un simple bâtiment qui abriterait une cour de justice. Et le risque si ce n’est pas mis en place, c’est que les talibans reviennent. Pour le moment ils sont silencieux mais ils n’ont pas disparus, ils sont cachés dans les montagnes et ils attendent. Ils attendent que le gouvernement échoue ».

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