C’est pour fuir le racket du MS13, le gang de leur quartier, qu’ils avaient décidé de fuir le Honduras. Nous avions rencontré Luis*, sa femme et ses deux enfants, en janvier 2019 à la gare routière de San Pedro Sula, point de départ d’une caravane de migrants.
Leur objectif : atteindre les États-Unis pour y déposer une demande d’asile. « J’avais mon propre commerce, une petite épicerie, raconte Luis. Mais depuis le mois de septembre, on a commencé à être rackettés. Ici, au Honduras, c’est normal de payer les gangs. Car si tu ne payes pas, ils menacent de tuer ta famille. »
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Mais très vite, les revenus de l’épicerie ne permettent plus de payer le « pisto », « l’impôt de guerre » exigé par le groupe criminel. Luis apprend sur les réseaux sociaux l’organisation d’une caravane de migrants. En deux jours, en ne mettant que quelques proches dans la confidence, il décide de fuir avec sa famille en abandonnant tout derrière lui.
Un mois. C’est le temps que Luis, son épouse et ses enfants mettront pour atteindre la frontière américaine, à pied ou en stop, après avoir traversé le Guatemala, puis le Mexique. Ils se souviennent de l'hospitalité des Mexicains, mais aussi du froid et des maladies des enfants, affaiblis par des heures de marche.
« On n'a toujours pas oublié ce qu'il s'est passé pendant ce voyage, confie aujourd’hui Luis, joint par téléphone. Les endroits où on a dormi, les enlèvements, les morts, parce que nous avons vu tout ça sur notre route. Des camionnettes s'arrêtaient et enlevaient des familles entières. Quand on est arrivé à Laredo, au Texas, tout a changé. La vie a commencé à changer ».
Une nouvelle vie dans l’Ohio
À Laredo, la famille hondurienne dépose une demande d’asile. D’autres n’auront pas cette chance et patientent toujours côté mexicain de la frontière. Depuis plusieurs mois, l'administration Trump cherche à freiner les arrivées de migrants venus d'Amérique centrale. Washington a notamment signé des accords avec le Salvador, le Guatemala et le Honduras pour que les demandeurs d'asile attendent le traitement de leur dossier dans un pays tiers, et non aux États-Unis.
Passés in extremis avant l’application de cette mesure, Luis et sa famille ont commencé une nouvelle vie, à Colombus, dans l'Ohio, dans le nord des États-Unis. Luis et sa femme ont décroché un permis de travail et vivent de petits boulots. « Trouver du travail, c’est facile. Mais ce sont des jobs réservés aux migrants, mal payés, voire pas payés du tout. Mais au moins, explique le père de famille, on est en sécurité pour l’instant ».
Leur présence aux États-Unis est toujours suspendue à la décision d'une cour de l'Ohio qui doit prochainement statuer sur leur demande d'asile. L'audience est fixée fin septembre 2020, juste avant la prochaine élection présidentielle, et leur avocat n'est pas très optimiste.
« Il nous a dit que sur cent personnes qui demandent l'asile, parfois seuls cinq l'obtiennent, soutient Luis. Si le juge nous dit : “vous devez quitter le pays”, on va faire appel. Notre avocat va essayer de prolonger le processus de demande d'asile de 5 à 8 ans, et voir ce qu'il se passe pendant ce laps de temps ». Objectif : tenir, jusqu’à l’élection d’un nouveau président. « L’avocat dit qu'avec ce président, c'est très compliqué pour les Latino-Américains. Il ne veut pas de nous ».
« Le gang a trouvé mon numéro de portable américain »
Rentrer au Honduras n’est pas une option envisageable. Luis soutient que des membres du gang ont très vite trouvé son numéro de portable américain et ne cessent de lui rappeler qu'ils ne l'ont pas oublié. Sa priorité : protéger son fils de 14 ans, qui a eu beaucoup de mal à se faire à la vie aux États-Unis. Il a fallu lui expliquer les vraies raisons du départ. « Il voulait qu'on le fasse rentrer au Honduras. Jusqu'au jour où je lui ai dit : “Attends, assieds-toi il faut qu'on parle. On ne peut pas rentrer. Si on rentre, il va falloir que je te livre à un gang pour régler ma dette" », raconte Luis.
Depuis, l’adolescent semble se faire à l’idée qu’il ne pourra pas rentrer chez lui. « Ses notes à l'école se sont améliorées, comme son comportement », assure son père. Sa fille de 10 ans, également scolarisée, semble s’être plus facilement adaptée à son nouveau pays. Mais la période de Noël est difficile à vivre. « Je vous assure qu'on aimerait être au Honduras en famille, en ce moment. Les Noëls ici sont très différents de ceux du Honduras. Donc on a notre sapin de Noël, et tout ça, mais... ce n’est pas pareil », lance Luis.
*Pour des raisons de sécurité, le prénom a été modifié