Avec notre correspondant à São Paulo,
Lula, increvable ? Il n’apparaît pas dans les débats à la télévision, pourtant il attire de plus en plus de monde. Selon les sondages, l’ancien président, condamné à 12 ans de prison pour corruption et incarcéré depuis avril, recueille entre 37% et 39% des intentions de vote au premier tour. Loin devant tous ses opposants. Lors d’un hypothétique second tour, il l’emporterait haut la main.
« Lula maintient son prestige auprès d’une part de l’électorat qui avait une meilleure qualité de vie lorsqu’il était au pouvoir et qui lui en sait gré, affirme Claudio Couto, professeur de sciences politiques à la Fondation Getulio Vargas. D’autre part, le Parti des Travailleurs (PT) a réussi à vendre la thèse selon laquelle Lula est persécuté par la justice. De ce point de vue, cette stratégie a réussi ». Alors que la plupart des médias locaux demeurent farouchement anti-Lula, « une bonne partie de la population estime qu’il a été condamné injustement et qu’il a été mis en prison pour éviter qu’il ne soit de nouveau président de la République », affirme le politologue Aldo Fornazoeri, de la Fondation-école de sociologie et politique de São Paulo (FESPSP).
L’imbroglio politico-juridique autour de Lula continue
Contestée, la candidature de Lula est désormais suspendue au verdict du Tribunal supérieur électoral (TSE), qui doit intervenir avant le 17 septembre, à trois semaines du premier tour. En cas d’invalidation, les avocats de Lula peuvent invoquer un nouveau recours devant la Cour suprême (STF). Mais, ayant été condamné en appel, « il ne peut, au regard de la loi, être éligible », estime Claudio Couto. Pour Caio Magri, ancien conseiller de Lula à la présidence, « Lula ne sera pas libéré avant les élections ». Pour cela, il faudrait que sa condamnation soit annulée, et la justice brésilienne n’y semble pas disposée.
« Le risque, c’est que certains ne reconnaissent pas ces élections comme légitimes, ajoute Caio Magri, président de l’Institut Éthos. Cela prolongerait et peut-être même aggraverait la crise dans laquelle nous sommes plongés depuis quatre ans. Alors que ce dont nous avons besoin, c’est de reconstruire un contrat social qui reconnaisse la démocratie comme un facteur déterminant pour notre avenir politique. » Si la candidature de Lula était définitivement rejetée, il appellerait alors à voter en faveur de Fernando Haddad, son actuel colistier et ancien maire de São Paulo.
Sans Lula, l’extrême-droite en tête
Sans Lula, c’est Jair Bolsonaro qui passerait en tête (22%) devant Marina Silva (écologiste/évangéliste, 16%), Ciro Gomes (gauche, 10%) et Geraldo Alckmin (conservateur, 9%), selon le dernier sondage Datafolha. Dans ce cas, le « candidat de Lula », Fernando Haddad, ne recueillerait que 4% des intentions de vote.
Décomplexée, l’extrême-droite - regroupée derrière l’ancien capitaine et député de Rio Bolsonaro - surfe sur le sentiment de rejet de la classe politique traditionnelle. « Il y a un maintenant au Brésil une partie de l’électorat qui s’identifie à l’extrême droite, un peu comme cela se passe en France, souligne Claudio Couto. C’est un fantôme qui va hanter la politique brésilienne pendant un certain temps ».
Jair Bolsonaro joue sur deux tableaux : déjà mis en cause pour des propos homophobes et misogynes, il tente de rendre l’extrême-droite plus respectable. Bien qu’il défende toujours la libération du port d’armes, thème populaire auprès des grands propriétaires terriens et d’une bonne partie de l’opinion publique, alarmée par la montée de la violence. En outre, il épouse les thèses de l’austérité budgétaire de son gourou économique, l’ancien banquier Paulo Guedes, pour attirer une partie de l’électorat conservateur traditionnel.
Echec du mouvement de renouvellement politique
Dernier élément de cette drôle de campagne : l’échec du mouvement de renouvellement. Il y a encore quelques semaines, les Brésiliens n’avaient que ce mot à la bouche. Ce renouvellement devait permettre de balayer tous les impliqués dans des scandales de corruption. L’ambiance « sortez les sortants », déclenchée par les révélations inouïes sur l’ampleur de la corruption, devrait faciliter l’émergence d’outsiders et d’une nouvelle classe politique valorisant l’éthique.
Guillaume Liegey, qui a participé à la campagne victorieuse d’Emmanuel Macron, est même venu au Brésil à deux reprises pour tenter de vendre son logiciel « 50+1 » aux candidats en quête de rénovation politique. Sans succès.
→(Re)lire : Le Brésil en quête d’un avenir politique
Mais une semaine après la date limite de dépôt des candidatures, le constat est décevant. Tous les outsiders de poids potentiels ont abandonné la course à la présidence : de l’animateur de variétés de la chaîne TV Globo, Luciano Huck, à l’ancien président de la Cour Suprême, Joaquim Barbosa. Pire encore : au Congrès, un des nids les mieux garnis de la corruption au Brésil, trois parlementaires sortants sur quatre tentent de se faire réélire, souvent pour ne pas perdre l’immunité parlementaire en cas d’accusation de corruption. Sans compter ceux qui briguent un mandat de gouverneur dans les différents Etats...
Fonds publics et temps de parole selon le score lors des dernières législatives
Les règles du jeu ont également été verrouillées de manière à favoriser les sortants. Car si, d’une part, le financement des campagnes par des entreprises a été interdit, d’autre part, ce sont les caciques des partis politiques qui sont aujourd’hui chargés de distribuer les fonds publics. Les candidats disposant d’un important patrimoine peuvent également financer leurs propres campagnes. À la télévision, le temps de parole des candidats durant « la propagande électorale gratuite » est également proportionnel à la représentation actuelle des partis à la chambre des députés. Une arme qui pourrait jouer en faveur du PT et de Geraldo Alckmin (PSDB, droite), qui a su bâtir une large coalition autour de lui.
De fait, les velléités de renouvellement semblent pour l’instant avoir été étouffées dans l’œuf. Exemple : le lancement dans l’arène politique de Rogério Chequer, ex-leader du Mouvement « Vem Pra Rua », qui avait été très actif dans la campagne anti-Lula et en faveur de la destitution de l’ancienne président Dilma Rousseff. Mais il recueille actuellement moins d’1% d’intentions de vote dans les sondages en vue de l’élection de gouverneur de l’État de São Paulo. Toutefois, certains groupes de la société civile appellent encore de leurs vœux une sorte de « grande mobilisation civique » afin de bousculer le statu quo, selon l’expression de Caio Magri. Une partie qui ne s’annonce pas facile.