«Un monstre à mille têtes» de Ricardo Plá: une course au bout de l'absurde

Sur les écrans français sort ce mercredi 30 mars «Un monstre à mille têtes», le nouveau film du réalisateur uruguayen vivant au Mexique, Ricardo Plá, déjà très remarqué en France pour « La Zona » en 2007. Ce film noir met en scène la corruption bureaucratique d'un système de santé voué au profit, très présent aux États-Unis et en Amérique latine*.

Dans une grande ville, faite de bureaux, de couloirs, de rampes d'escaliers, de tours et de parkings, une femme dont le mari est gravement malade tente d'obtenir de son assurance privée une explication à son refus de prendre en charge les soins que requiert son cancer. L'homme fait un malaise dans la nuit.

D'emblée le cadre est posé : le premier réflexe de son épouse est d'appeler l'assurance pour qu'elle remplisse ses obligations de soin, de donner un numéro qui permettra l'arrivée des secours, des soins, ce pour quoi la famille cotise depuis une quinzaine d'années et elle a hypothéqué sa maison. Le problème est que le dossier de son mari a été refusé.

Commence pour l'épouse et son fils une course poursuite en grande partie nocturne en quête du bon interlocuteur, de celui qui, dans cette hydre ou monstre à mille têtes, permettra de débloquer l'autorisation de soin pour le père malade, quitte à lui extorquer sa signature. Des couloirs sinistres des locaux de l'assurance privée au lobby chic et froid d'un immeuble de rapport où vit l'une des principales actionnaires de l'assurance, en passant par la cuisine laboratoire de l'épouse du médecin référent, le spectateur est embarqué dans une spirale criminelle par Sonia Bonet et son fils, et découvre, avec les protagonistes, le système mafieux mis en place par l'assurance, avec la complicité des médecins, pour extorquer les assurés pour le plus grand profit des actionnaires.

Un monstre à mille têtes, mais sans cerveau

On se souvient d'un précédent film coup-de-poing de Ricardo Plá, La Zona, sur les quartiers réservés. Ce Monstre à mille têtes est aussi un polar social, mais le réalisateur parvient à ménager des respirations qui allègent la tension comme la cocasserie des scènes dans le sauna où Sonia va débusquer les plus hauts responsables de l'assurance. Ricardo Plá met aussi en place un dispositif qui fait intervenir d'autres points de vue que ceux des deux protagonistes principaux. Les personnages auxquels Sonia et son fils ont affaire, secrétaire médicale, médecins, petit pompiste, etc. sont « convoqués » dans le film, en voix off, par un juge et racontent la scène de leur point de vue. Leurs témoignages adoucissent la violence des scènes du fait de leur ton détaché et de la presque empathie dont ils font preuve à l'égard de celle qui leur a fait quand même passer un sale moment.

Ce dispositif cinématographique est inspiré du roman qui a donné naissance au film. Chaque chapitre donne la parole à un protagoniste ou témoin du fait divers. Le livre est l'œuvre de Laura Santullo, compagne du réalisateur et co-scénariste du film. Du coup, ceux-là mêmes qui, socialement, pourraient n'être que les « méchants », les profiteurs, gagnent en humanité et apparaissent eux aussi comme les petits rouages d'une machine à faire de l'argent. Comme l'explique le réalisateur, le monstre à mille têtes n'a pas de cerveau, chacun étant un exécutant de cette machinerie infernale. Ce dispositif narratif est souligné par les vitres, miroirs, images coupées et par la mise au point qui souligne les changements de point de vue.

La force du film tient aussi à la remarquable interprétation des deux protagonistes aux émotions à fleur de peau. La mère, interprétée par Jana Raluy – célèbre comédienne de théâtre-, refuse d'envisager la mort de son mari. Précise, méthodique, elle organise des dossiers, « fait des listes » et efface les plis du drap pour se rassurer. Le fils Dario, jeune garçon au fin visage buté, interprété par Sebastian Aguirre Boëda, préfère les Clash et la musique garage à Police et Dire Straits que lui a fait découvrir son père, aux sentiments noués d'adolescent. Il sera pour sa mère, dans la folle quête, un point d'ancrage dans le réel.

« La prochaine fois, on braquera une banque » lance la mère à son fils. Amère ironie alors que la santé, ce droit humain essentiel, est littéralement braquée par des financiers sans scrupules.

* L'écrivain argentin Ricardo Piglia est une illustre victime de cette corruption bureaucratique d’un système de santé voué au profit. L'un des plus prestigieux auteurs en langue espagnole souffre de la maladie de Charcot depuis 2013 et son assurance privée refuse de financer le médicament qui le soulage.

 

 

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