Fusillade en Californie: comment Tashfeen Malik s'est radicalisée

L’enquête se poursuit aux Etats-Unis, moins d’une semaine après la mort de 14 personnes dans une fusillade à San Bernardino en Californie. On sait désormais que la femme qui a commis l’attaque avec son mari avait suivi un cursus dans l’une des écoles coraniques (madrasas) les plus en vue au Pakistan.

Les profils des deux auteurs de la tuerie de San Bernardino s’éclaircissent un peu plus de jour en jour. Le mystère est en partie levé sur le processus de radicalisation de Tashfeen Malik. Cette jeune femme de 29 ans, à l’origine de l’attaque du 2 décembre avec son mari Syed Farook, a fait des études de pharmacie dans la ville de Multan, dans le centre du Pakistan. En parallèle, elle a également suivi un cursus à l’institut al-Huda, indique l'établissement cité par l’Agence France-Presse (AFP). Al-Huda est un institut destiné aux femmes de la classe moyenne qui souhaitent approfondir leur foi en l’islam.

La jeune femme se serait inscrite en 2013 et y aurait suivi des cours du soir pendant deux ans, précise le correspondant de RFI à Islamabad Michel Picard. Des études qu’elle n’aurait « pas terminées », précise l’enseignante interrogée par l’AFP, pour qui rien ne laissait imaginer qu’elle prendrait les armes. « C'était une fille bien. Je ne sais pas pourquoi elle est partie ni ce qui lui est arrivé », assure-t-elle. Toujours selon l’agence, citant cette fois d’anciennes camarades d’université, Tashfeen Malik se rendait à la madrasa après les cours et elle aurait « énormément changé » pendant cette période. « Petit à petit, elle est devenue plus sérieuse et plus stricte », rapporte une ancienne étudiante de l’institut.

Idéologie proche des Talibans ?

Cette école coranique pour femmes est l’une des plus connues dans le pays, au point d’avoir installé des bureaux à l’étranger, notamment aux Etats-Unis, aux Emirats, en Inde, au Royaume-Uni et bientôt au Canada. Elle a été critiquée dans le passé pour avoir diffusé une idéologie proche de celle des Talibans selon ses détracteurs, même si aucun lien avec des organisations extrémistes n’a officiellement été avéré. « Ni le gouvernement ni les institutions judiciaires ne nous ont jamais accusés de diffuser l'extrémisme -- nous enseignons au contraire les préceptes pacifiques de l'islam », a réagi un porte-parole de la madrasa, interrogé par l’AFP.

Selon Arif Rafiq, expert au Middle East Institute basé à Washington et contacté par l’agence, « la fréquentation d'un tel établissement suggère qu'elle avait embrassé une variante plus moderne mais plus austère de l'islam. […] Cela a pu la rendre plus sensible à l'idéologie d'un groupe terroriste transnational comme l'EI », indique-t-il, tout en soulignant que rares sont les étudiants d'al-Huda à devenir des extrémistes armés. « La seule fréquentation d'al-Huda ne répond pas à la question de savoir comment elle [Tashfeek Malik, Ndlr] a pu faire le saut de musulmane conservatrice voire salafiste à jihadiste », tranche ce spécialiste de la radicalisation.

Dossier sensible

Les écoles coraniques sont un dossier brûlant au Pakistan. Depuis plusieurs années, les autorités du pays ont redoublé d’efforts pour lutter contre les discours radicaux, prônant entre autres l’intolérance et l’obscurantisme, prêchés dans certaines madrasas. L’actuel ministre de l’Information avait d’ailleurs récemment qualifié les madrasas d'« universités d’analphabétisme et d’ignorance », rappelle le correspondant de RFI à Islamabad.

Mais les autorités se sont heurtées à la colère de nombreux hauts dignitaires religieux, qui les accusent de tenter de les forcer à promouvoir « un point de vue anti-islamique », dénonçant une « dérive laïque de la société ». Face à ces leaders musulmans très influents et qui ont la capacité de soulever une partie de la population, le gouvernement pakistanais a finalement dû rebrousser chemin.

Farook radicalisé par sa femme ?

Le fait que Tashfeen Malik ait fréquenté cet établissement pakistanais permet en tout cas de mieux comprendre sa trajectoire vers une idéologie radicale. Ce processus aurait d'ailleurs pu débuter bien avant son séjour au Pakistan selon les enquêteurs, notamment lors de ses séjours en Arabie Saoudite. Selon le quotidien saoudien Asharq al-Awsat (lien en arabe), proche du pouvoir, Malik serait arrivée une première fois dans la monarchie du Golfe en juillet 2008, pour y rester pendant deux mois, puis elle serait revenue, cinq ans plus tard, pour y séjourner quatre mois.

La question qui se pose aujourd’hui, c’est si Tashfeen Malik a ou non été en contact avec des extrémistes dans l’un de ces deux pays. Ce que croient savoir les enquêteurs, rapporte l'AFP, c’est qu’elle serait à l’origine de l’embrigadement de son époux, Syed Farook – un employé du service de santé de San Bernardino – avec qui elle a perpétré la tuerie.

Ce dernier, un Américain d’origine pakistanaise, approuvait apparemment l’idéologie du chef de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi, et était « obsédé par Israël », selon son père interviewé aux Etats-Unis par le quotidien italien La Stampa (article en italien). Arrivé du Pakistan aux Etats-Unis en 1973, son père raconte que le fils « encore adolescent, n'allait pas aux fêtes avec ses camarades, disant qu'un bon musulman peut seulement voir danser sa femme ». Il ajoute l'avoir vu « une fois avec un pistolet » et s'être mis en colère contre lui. Il a en revanche assuré « ne pas savoir » s'il était en contact avec des terroristes.

La radicalisation du couple aurait en tout cas atteint son paroxysme avec l’allégeance Tashfeen Malik à l’organisation Etat islamique sur Facebook peu de temps avant de prendre les armes, laissant derrière eux leur bébé de six mois.

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