de notre correspondant à São Paulo,
Il y a quelques jours encore, Dilma Rousseff était au pied du mur. Aujourd’hui, paradoxalement, elle a gagné un certain répit, même si un million de Brésiliens (les chiffres varient selon les sources) sont descendus dans la rue ce dimanche, la plupart vêtus de jaune et de vert (les couleurs du Brésil) pour réclamer sa démission ou sa destitution, ou tout simplement pour fustiger la corruption qui a dévasté Petrobras, l’entreprise publique pétrolière (avec des fraudes estimées à 2 millions de dollars).
Les mécontents ont certes fait passer leur message. Pour la troisième fois en l’espace de six mois, les « anti-Dilma », qui font porter la responsabilité de la corruption sur le parti au pouvoir, ont mobilisé leurs troupes avec succès. Les associations de la société civile qui ont organisé ce mouvement ont même reçu le soutien des partis politiques d’opposition. Pour la première fois, le chef de file de l’opposition, Aécio Neves, a participé à la manifestation, à Belo Horizonte.
La prudence d'Aécio Neves
Mais il y a encore une grande distance entre les mots d’ordre radicaux venant de la rue, et la prudence des politiques. « Le Brésil s’est réveillé, a déclaré Aécio Neves. Je viens ici en tant que citoyen indigné par la corruption, par le mensonge, par l’incompétence de ce gouvernement qui fait tant de mal aux Brésiliens… L’inflation qui augmente dans tout le pays, les taux d’intérêt stratosphériques : voilà l’œuvre d’un gouvernement qui n’a pas accordé la priorité aux intérêts du pays ».
Malgré la fermeté de son discours, Aécio Neves, qui a perdu de justesse la présidentielle d’octobre dernier contre Dilma Rousseff, ne reprend pas à son compte la thèse de la destitution, ni même celle de la démission de la présidente, qui ouvrirait la voie à des élections anticipées – c’est pourtant ce qu’avaient récemment réclamé des jeunes députés de son parti. Au Congrès à Brasilia, Dilma Rousseff s’est également assurée le soutien du président du Sénat, Renan Calheiros, alors que le président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, est entré en dissidence.
Mais si Dilma Rousseff obtient un certain répit au plan politique, ses partisans ne se font guère d’illusion. Son impopularité a atteint des niveaux record, le pays est plongé dans une récession durable qui risque de faire grimper le chômage en flèche. Les consommateurs tout comme les investisseurs ont le moral à zéro, ou presque. Le patron de l’agence de publicité Publicis, Maurice Lévy, estime même dans une interview publiée dans un journal local [Valor Econômico] qu’ « il est triste de voir le Brésil sombrer dans les affaires de corruption ».
Difficile, dans les conditions de voir l’avenir avec sérénité. De surcroît, le grand déballage de la corruption, qui a déjà jeté le soupçon sur des douzaines de représentants de la classe politique (dont l’ancien bras droit de l’ex-président Lula, José Dirceu, et l’ancien trésorier du Parti des Travailleurs au pouvoir, João Vaccari), est loin d’être terminé. De nouvelles affaires pourraient ainsi surgir. L’entreprise publique d’électricité Eletrobras est déjà dans le collimateur, avec notamment des détournements dans la construction d’un nouveau réacteur nucléaire.
Pro et anti-Dilma
Ecœurés, les manifestants brésiliens ont adressé une nouvelle mise en garde au pouvoir. Mais Dilma Rousseff, forte du soutien des militants de gauche, n’hésite pas à réaffirmer sa légitimité, issue des dernières élections (c’était il y a moins d’un an). « C’est la source de ma légitimité. Personne ne va m’ôter cette légitimité conférée par les urnes », dit-elle. Alors que les manifestants anti-Dilma défilaient sur la grande avenue Paulista, quelques centaines de militants se regroupaient devant le siège de l’Institut Lula (fondation créée par l’ancien président) à l’autre bout de la ville pour manifester leur soutien à la présidente. Et jeudi prochain, une nouvelle manifestation pro-Dilma est prévue pour montrer que le gouvernement peut aussi mobiliser ses troupes contre ceux qu’ils qualifient de « putschistes ».
Dans une déclaration polémique, Vagner Freitas, le leader de la centrale syndical des Travailleurs, la CUT, a d’ailleurs récemment délivré un « message aux putschistes », selon sa propre expression : « S’ils essaient de renverser la présidente Dilma, nous descendrons dans la rue, les armes à la main »… « Présidente Dilma, s’il y a une tentative d’attentat contre la démocratie, contre vous-même ou contre le président Lula, nous serons l’armée qui va affronter cette bourgeoisie dans la rue », a affirmé Vagner Freitas vendredi dernier, avant d’affirmer que ces propos incendiaires avaient été mal interprétés.
Ainsi, même si les manifestations de dimanche se sont déroulées sans incident majeur, l’atmosphère demeure électrique, et le moindre affrontement risquerait de mettre le feu aux poudres. Nul ne saurait dire combien de temps la trêve va durer. Mais pour l’instant, Dilma Rousseff semble avoir éviter le pire.