L'offensive des républicains contre Obama sur la réforme de l'immigration est à double tranchant. Car le vote des minorités latino-américaines aux Etats-Unis pèse de plus en plus lourd, et comptera largement lors de l’échéance électorale de 2016.
En 2008, Barack Obama a été élu notamment grâce à leurs voix, comme le rappelle Constance Borde, vice-présidente du Parti démocrate en France : « Il a été élu en grande partie grâce aux voix des minorités, des immigrés, et il a promis, donc il avance maintenant de la seule façon qui lui reste en son pouvoir. »
En effet, Obama avait fait des promesses de régularisations qui avaient suscité de l'espoir chez les 11 millions d'immigrés sans papiers. Il doit donc répondre à leurs attentes, il en va de sa crédibilité.
« C’est une réforme qui était annoncée pendant le premier mandat, mais qui n’a pas eu lieu, explique le politologue James Cohen, professeur à l'université Paris III. Sans doute parce que les démocrates et Obama se sont épuisés dans la lutte pour la réforme de la santé. Il doit donc, au début de son second mandat, absolument obtenir quelque chose là-dessus. D’autant que sa crédibilité est en jeu, car il promet depuis longtemps une réforme qui consisterait, comme il dit, à sortir de l’ombre les sans-papiers. Mais il va être difficile de les sortir de l’ombre s’il n’y a pas une loi qui est votée assez rapidement. »
Pas d’accord bipartisan sur l’immigration
Le président Obama avait déjà tenté une solution bipartisane avec les républicains. En juin 2013, une loi sur l’immigration avait été votée par 68 sénateurs, dont des républicains. Une loi qui comportait également un volet sécuritaire important, avec le renforcement des contrôles à la frontière, un aspect qui devait répondre à la préoccupation des républicains en matière de sécurité. Mais cette loi, considérée comme laxiste sur ce dernier plan, a été rejetée par la Chambre des représentants. Le blocage persiste à ce jour.
Le 20 novembre dernier, Obama a donc annoncé un décret présidentiel pour permettre à 5 millions d’immigrés illégaux qui ont des enfants nés sur le sol américain d’être protégés contre l’expulsion et d’obtenir un permis de résidence pour une durée de trois ans. « Je veux travailler avec tous les partis pour faire passer une loi qui aura un caractère plus permanent. Et le jour où je signerai cette loi, je n'aurai plus besoin de prononcer des décrets présidentiels. Mais ne permettez pas qu'un désaccord sur un sujet entraîne une discorde sur tous les sujets », a déclaré Obama, enjoignant les républicains, qui venaient de remporter la majorité dans les deux Chambres lors des élections de mi-mandat, d’éviter de bloquer toutes les propositions démocrates.
L’arme des républicains : le budget
Les républicains ont considéré ce décret sur l’immigration - qui ne réglera pourtant pas le problème de tous les immigrés sans-papiers - comme un passage en force et ont accusé le président Barack Obama d’outrepasser ses pouvoirs. Comme le sénateur de Floride Ted Cruz, qui souhaiterait dorénavant bloquer la nomination de postes clés (autres que ceux liés à la sécurité). Exemple : le poste de secrétaire à la Défense, ou celui de ministre de la Justice. Eric Holder ayant démissionné, Obama a nommé Loretta Lynch, nomination qui doit encore être confirmée par le Congrès.
Mais surtout, l’autre moyen de blocage, c’est le budget de la sécurité intérieure - dont dépendent les services d'immigration - accordé jusqu’au 27 février prochain. « La loi sur le budget expire fin février, confirmait dimanche sur Fox News le sénateur républicain du Dakota du Sud, élu en novembre, John Thune. Nous reconnaissons qu'il est important de financer le gouvernement, et maintenant que nous avons la majorité, nous en avons la responsabilité. Mais nous allons aussi utiliser le pouvoir du portefeuille que la Constitution octroie au Congrès comme mécanisme pour défier le président sur des sujets sur lesquels nous considérons qu'il a outrepassé son autorité, et ce qu'il a fait sur l'immigration en est un exemple très clair. »
L’arme d’Obama : le droit de veto et le décret présidentiel
Pour contrer les républicains au Congrès, Barack Obama peut continuer à passer ces « ordres exécutifs » (décrets présidentiels) malgré les accusations d’abus de pouvoir. Il peut aussi utiliser son droit de veto, ce qu'il n'a fait que deux fois jusqu'à présent (contre 12 fois par Georges W. Bush, 37 fois par Bill Clinton, 365 fois par Franklin Roosevelt), et qu'il a brandi ces derniers jours. Selon Constance Borde, la bataille s'annonce rude au Congrès : « C’est une déclaration de guerre forcée, le problème de l’immigration doit être résolu, mais il ne peut pas y avoir d’accord au Congrès, car Obama n’a pas [ses] faveurs. Donc il faut résoudre le problème d’une autre façon, par les ordres exécutifs. »
Barack Obama est, selon elle, désormais engagé dans la bataille. « Obama n’a rien à perdre, explique-t-elle. C’est un homme qui a cherché le compromis. Il lui reste un an et demi, au cours duquel il pourra passer des décrets présidentiels, et on verra ce qui se passera. Mais je ne pense pas qu’il cèdera, il n’a pas intérêt à céder maintenant. Beaucoup de démocrates disent : « Enfin Obama se comporte comme un président avec beaucoup de force, et il va mener à bien toutes les réformes qu’il voulait faire. »
L'immigration sera d'ailleurs l'un des thèmes du traditionnel discours sur l'état de l'Union qu'Obama prononcera devant le Congrès le 20 janvier prochain.
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L’oléoduc Keystone XL, autre sujet de discorde
Ce dossier conflictuel concerne une loi autorisant la construction de l’oléoduc Keystone XL entre le Canada et les Etats-Unis. Barack Obama tergiverse depuis six ans en raison de l’opposition des démocrates et des écologistes.
Or, les républicains veulent donner le feu vert au projet dès vendredi à la Chambre des représentants, et quelques jours plus tard au Sénat. Les nouveaux maîtres du Congrès sont favorables à une augmentation des forages pétroliers et à une levée des restrictions sur l’exportation de gaz naturel liquéfié et de pétrole brut.
La réussite de cette loi représente un geste de défiance envers le président américain. Ce dernier est, en théorie, le décideur ultime pour autoriser le projet de la société TransCanada, dont la première demande d'autorisation a été faite en 2008, avant même l'élection de Barack Obama.
D'après le porte-parole de l'exécutif américain, Josh Earnest, « Si cette loi est votée par le Congrès, le président ne signera pas ». Il opposerait son veto. Pour le moment, Barack Obama n'a pas pris sa décision.