Barack Obama a promis de riposter sans dire réellement comment. Il a dit aussi requalifier les faits d’« actes de guerre » en « cyber-vandalisme ». C’est une manière de limiter la casse ?
François Durpaire : Barack Obama ne veut pas faire une ligne rouge dans le sable. C’est ce qu’on lui avait reproché suite à l’affaire des armes chimiques utilisées par Bachar el-Assad. Donc il a eu des discours très durs et en même temps, il se dit «que puis-je faire face à un pays qui est en totale autarcie ?». Cela veut dire qu’aucune décision, de la nature de celle que l’on prend sur la Russie ou sur l’Iran, n’a de prise sur la Corée du Nord. Même une contre-offensive technologique dans un pays qui est isolé technologiquement n’aurait pas de prise. La question qui se pose, c’est comment réagir ? Et autour de Barack Obama, on se gratte la tête et on se dit que ça risque d’être très compliqué. Il faut sans doute passer par la Chine, mais c’est très compliqué. Et on n’est pas en pleine science-fiction mais presque. Imaginez quand même que ce que fait Sony Pictures, c’est de décider de ne pas mettre dans les salles un film L’interview qui tue, et ça c’est une autocensure qui est inédite dans l’histoire culturelle des cinquante dernières années.
Ça a un côté d’ailleurs un peu fou que tout cela soit parti de ce film L’interview qui tue, qui est une fiction ?
Les fichiers de Sony Pictures sont entre les mains désormais de ceux qui s’auto-désignent comme « gardiens de la paix ». On sait bien que c’est la Corée du Nord qui est derrière. Ça veut dire que cette entreprise sait qu’il y a des mails privés entre les salariés qui ne doivent pas être diffusés. On parle par exemple de mails qui auraient des contenus racistes. Pour sa réputation, l’entreprise ne peut pas se permettre. Le scénario du prochain James Bond est entre les mains de la Corée du Nord. C’est quelque chose d'inédit.
Certains spécialistes du terrorisme aux Etats-Unis disent que c’est pire que Daesh parce qu’il y a une asymétrie des forces qui est du côté coréen. On sait que la Corée du Nord a 1 200 hackers d’Etat contre les Etats-Unis, contre la Corée du Sud. C’est plus que les Américains. Imaginez par exemple que RFI dise du mal de la Corée du Nord pendant une semaine, vous n’auriez plus de site internet. Certes on n'enlèverait pas des journalistes, mais tous les mails internes pourraient être contrôlés par une puissance étrangère qui essaierait de détruire votre réputation. On n’est pas en pleine science-fiction, c’est ce qui est en train de se passer pour Sony Pictures aux Etats-Unis.
Pourtant on a l’impression que Barack Obama essaie de « minimiser » les faits ?
C’est ce que je disais au départ. Il sait que les faits sont très graves, mais en même temps ce qui est compliqué pour lui, c’est que c’est une attaque non pas sur les Etats-Unis mais sur une entreprise. Donc les relations entre le privé et le public, bien évidemment c’est quelque chose d’assez particulier. Puis en même temps, il ne veut pas donner l’impression de reculer, c’est-à-dire être extrêmement ferme et ensuite, qu’on puisse dire, finalement qu’est-ce qui c’est passé ? Quelle est la contre-offensive ? Qu’est-ce que notre pays a fait en réponse à cela ? Donc on se pose la question. Mais il y a le court terme, et sur le court terme, on sait qu’il n’y a pas grand chose à faire ; et il y a le moyen et le long terme, c’est-à-dire redéfinir les menaces. Quelles sont les menaces de cyber-attaques dans le futur ? Est-ce que les guerres d’avenir ne sont pas des guerres du cyber-espace ?
Les sanctions économiques auraient très peu de prise sur Pyongyang. On parle éventuellement de réintégrer la Corée du Nord sur la liste des pays terroristes. Cela aurait un sens ?
Ce serait ajouter le nom de la Corée du Nord sur une liste. Quelles conséquences concrètes pour les Coréens ? En Corée du Nord, les gens vivent dans la misère. On ne peut pas être plus pauvre que pauvre. Quelles sont les sanctions économiques à prendre contre la Corée du Nord ? Là encore c’est l’impuissance pour le gouvernement américain.
Une riposte militaire, c’est envisageable ou totalement utopique ?
Non, c’est utopique. La Corée du Nord est une puissance nucléaire. On a pensé évidemment à des cyber-attaques contre précisément les intérêts nucléaires de la Corée du Nord. Mais là, ce serait entraîner le monde vers des menaces et Barack Obama ne souhaite pas cette escalade.
Vous évoquiez le fait que Washington avait réclamé l’aide de Pékin dans ce dossier. On a un peu du mal à comprendre d’autant que Pékin a déjà lancé des cyber-attaques contre Washington ?
Oui, exactement. C’est évidemment la limite de cette coopération Chine-Amérique. Qu’est-ce qui va primer ? Est-ce que les Chinois vont se dire, sur ce coup-là, on va effectivement accepter cette coopération avec les Etats-Unis contre le régime de la Corée du Nord. On sait très bien qu’une partie de cette cyber-attaque se fait à partir de la Chine. La cyber-attaque dont on parle s’est faite à partir d’un hôtel de luxe en Thaïlande. Evidemment la provocation ultime de la Corée du Nord, c’est d’avoir proposé aux Etats-Unis une coopération. C’est comme si un assassin proposait aux policiers d’enquêter ensemble sur ce qui s’est passé. Il y a donc une double provocation. En même temps, la Corée du Nord a précisé au gouvernement américain : "On va coopérer avec vous mais on ne fera pas comme vous usage de la torture". Et face à cette provocation, les Américains apparaissent comme impuissants.
→ François Durpaire est l’auteur Histoire des Etats-Unis aux éditions PUF dans la collection Que sais-je ? (Presses Universitaires de France).