Pablo Ortiz Monasterio, la photographie latino-américaine s’expose à la Fondation Cartier

Vous adorez la photographie ? Un môme et un pistolet vous font penser à William Klein. Le mot «Mexique» déclenche irrésistiblement le souvenir aux clichés d’Henri Cartier-Bresson. Et quand vous devez citer le nom d’un photographe latino-américain, vous dites spontanément : «Sebastião Salgado». Et bien, trois raisons pour visiter America Latina 1960-2013 où vous ne verrez rien de cela. L’exposition de la Fondation Cartier à Paris nous fait découvrir 70 photographes de 11 pays, dont Pablo Ortiz Monasterio, photographe multiprimé, auteur et éditeur, né en 1952 à Mexico, au Mexique. Entretien.

Quand vous avez commencé à faire de la photographie, est-ce que Henri Cartier-Bresson était pour vous un repère ? Un photographe au Mexique ou en Amérique latine a-t-il les mêmes repères esthétiques qu’un photographe en France ou en Europe ?

Au Mexique, il y a une société très complexe avec 120 millions d’habitants. Et les choses changent très vite. En Amérique latine, nous ne respectons pas le passé, ce n’est pas comme en Europe avec toutes les institutions, les châteaux et les musées… On prend les choses sur un ton plus léger. Il y a une jolie anecdote : Henri Cartier-Bresson racontait que la seule photographie qui l’avait influencé était une photo prise au Libéria par Martin Munkácsi qui montre trois jeunes Noirs qui courent vers la mer. Un moment merveilleux et décisif, avec un rythme magnifique. J’ai publié cette photo dans une revue et j’ai demandé à Manuel Álvarez Bravo, notre grand maître à tous qui était ami avec Henri Cartier-Bresson : Qu’est-ce qui vous a influencé ? Et il a répondu : « Toutes les choses ont une influence sur vous. » Finalement on a publié deux photographies d’Álvarez Bravo et deux photographies de Cartier-Bresson côte à côte. Elles étaient tellement similaires !  Mais il faut savoir que les photos d’Álvarez Bravo ont été prises avant celles de Cartier-Bresson. Pour revenir à votre question. Oui, Cartier-Bresson et l’agence Magnum nous ont influencés. Mais nous avons eu aussi Álvarez Bravo et la grande tradition de la photographie mexicaine.

Volando bajo (Voler bas) montre un jeune qui saute. Derrière on aperçoit un mur avec le graffiti d’un pistolet. Quelle est pour vous la signification de cette photo prise en 1989 ?

C’est un bon exemple pour la générosité de la vie. Je connaissais ce garçon. J’avais fait un portrait de lui. Un jour, je voulais lui retrouver pour lui donner la photo, mais il n’était pas là. J’ai montré alors la photo que j’avais faite de lui aux garçons qui étaient sur place. Ils m’ont guidé vers sa maison. La mère sortait en disant qu’elle aimait bien la photo, mais que son fils n’était pas là. Elle faisait un signe en direction des enfants pour m’indiquer le chemin. Il y avait six ou sept enfants autour de moi. Heureusement. Parce que c’était un quartier très dangereux. Finalement, on l’a trouvé. Il était en train de fumer de la marihuana avec son frère et son père, ce qui était bien sûr illégal. Au moment où il m’aperçoit, je vois le graffiti avec le pistolet sur le mur et je sors ma caméra. Quand il voit mon appareil, il saute immédiatement au-dessus du petit canal qui sépare le mur et le chemin. C’est-à-dire il réagit par rapport à ma caméra. C’était simplement génial.

L’autre photographie que vous affichez dans l’exposition montre une scène tout à fait banale, à part le mot « Policia » qu’on détecte sur le pare-brise du scooter et qui donne le titre.

C’est une image issue de la série La ultima ciudad (1988). En fait, il s’agit d’un portrait d’un petit garçon. En même temps, j’étais en train de travailler sur Mexico-City. Je voulais expliquer cette ville. J’étais obsédé par l’idée de combiner les deux approches dans cette ville gigantesque où se passent des milliers de choses au même moment. Alors, j’ai vu ce scooter de la police et je me suis déplacé à droite pour prendre en photo toute la famille avec le père qui porte un grand sac de maïs, l’aliment de base au Mexique. Ainsi, j’ai réussi à combiner le portrait du petit garçon avec l’insécurité et la vie quotidienne.

Ce sont deux photos qui essaient de capter une ville, de la faire réagir. Est-ce que c’était pour cela que vous êtes devenu photographe ?

La photographie est une manière d’apprendre. C’est un outil merveilleux pour enregistrer le changement. C’est cela que j’aime avec la photographie. La photo est un moyen qui vous donne un accès à des endroits incroyables. Je viens de revenir d’un voyage en Russie. J’ai visité un laboratoire de physique nucléaire. C’était extraordinaire. Jamais dans ma vie, j’aurais rêvé de visiter un tel laboratoire. La photo vous emmène au savoir.

C’est une exposition sur la photographie latino-américaine. Est-ce que cette photographie utilise une autre langue que la photographie européenne par exemple ?

C’est la même langue. C’est une langue visuelle. On dit des choses à travers la photo. Je suis adepte des photos-livres, je pense que c’est le meilleur moyen pour dire des choses. Mais, comparés avec l’Europe, nous avons des choses différentes à exprimer. Notre langue est différente, notre âme est différente. Alors, ce que nous disons de la réalité, c’est aussi différent. Ce n’est pas meilleur ou moins bien, c’est simplement un autre point de vue.

Quelle est l’importance de cette exposition América Latina pour la photographie latino-américaine ?

C’est une très importante exposition surtout pour les photographes qui n’ont jamais exposé en Europe. Pour eux, cela va changer beaucoup. D’autres, comme Miguel Rio Branco, sont déjà très connus, pour eux c’est juste une autre exposition de groupe. Concernant le public, il n’est pas possible de venir ici et de savoir ce qu’est la photographie latino-américaine. Mais les visiteurs ont ici la possibilité d’avoir accès à des artistes merveilleux, à une langue, à des textes et des idées magnifiques.

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América Latina. Photographie 1960-2013, du 19 novembre 2013 jusqu’au 6 avril 2013 à la Fondation Cartier, Paris.

 

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