Amazon, nouveau boss des médias ?

Jeff Bezos, le patron du distributeur en ligne Amazon, vient de se porter acquéreur du Washington Post, fleuron de la presse américaine. Avant lui, d’autres fortunes d’internet se sont penchées sur le sort des vieux médias. Les trublions du Web sembleraient venir à la rescousse du fragile modèle économique qu’est la presse écrite. Tendance ou nécessité ?

Le secteur de la presse aux Etats-Unis (mais aussi en France ou ailleurs) est en crise. Le succès d’internet a souvent été montré du doigt comme un des facteurs de la désaffection des lecteurs pour la presse écrite. Mais paradoxalement, c’est une fortune du commerce en ligne -Amazon- qui vient à la rescousse de cette vieille institution. Ironie de l’histoire, pour le journaliste Andrew Leonard, qui commente : «un iceberg vient juste de sauver le Titanic !» Avec les interrogations des journalistes qui vont avec : « Est-ce que Bezos va gérer le Post comme un homme d’affaires ou un philanthrope - ou un hybride des deux? », s’interroge Ryan Chittum, de la Columbia Journalism Review.

« Réimaginer l’information »

De son côté, Jeff Jarvis, journaliste américain et spécialiste des médias, explique : « Je suis heureux que Bezos utilise sa fortune pour sauver une grande et nécessaire institution américaine […] Mais j’espère que la vraie valeur qu’il apportera sera son esprit d’entreprise, son innovation, son expérience et une nouvelle perspective, lui permettant de réimaginer l’information. »

Repenser les moyens de diffusion de l’information ? Pourquoi pas ? Mais pour l’instant, le Washington Post -détenu depuis quatre générations par la même famille, les Graham, descendants du financier Eugene Meyer qui l’avait acquis en 1933- demeure encore un peu sous le choc.

« Les valeurs du Post ne changeront pas »

Mais la question mérite d’être posée : les experts d’internet seront-ils plus à même de gérer les crises successives éprouvées par le secteur de la presse ? C’est ce que pensent de nombreux experts. Mais comment ? Jeff Bezos a lui-même expliqué : « Il y aura bien sûr des changements au Post dans les prochaines années » afin de l'adapter aux bouleversements créés par internet. En ajoutant : « Nous aurons besoin d'inventer, ce qui signifie que nous aurons besoin d'expérimenter. » Il a toutefois assuré qu'il « comprenait le rôle crucial » que le Post joue à Washington et dans tout le pays, soulignant que « les valeurs du Post ne changeront pas ».

Le salut viendrait des tablettes informatiques ?

Dans les évolutions probables, on peut penser notamment au mode de diffusion par le biais des tablettes ou autres liseuses. On s’abonnerait ainsi à un journal comme à un opérateur de téléphonie mobile ou à un site commercial. Jeff Bezos avait d’ailleurs laissé entendre en novembre dans le quotidien allemand Berliner Zeitung que le salut viendrait peut-être des tablettes informatiques un marché où Amazon est lui-même très présent avec son Kindle Fire : « Sur internet les gens ne payent pas pour les informations, et cela ne changera pas. Mais nous avons remarqué que les gens sont prêts à payer pour des abonnements aux journaux sur des tablettes. »

Le rachat par ce patron atypique est symptomatique d’un phénomène actuel. Confrontés au défi d’internet, qui érode leur lectorat et leurs bénéfices, les journaux américains dépendent pour leur survie de plus en plus de chevaliers blancs au portefeuille bien rempli.

Il s’agit ainsi de la troisième annonce en trois jours d’un changement de propriétaire pour un titre phare de la presse américaine. Le groupe de médias en ligne IBT Media avait déjà annoncé samedi le rachat du magazine Newsweek pour un montant non communiqué. Le même jour, le New York Times avait annoncé la cession à perte (70 millions de dollars contre 1,1 milliard de dollars payés en 1993) du Boston Globe au principal actionnaire du club de baseball de la ville, les Red Sox, John Henry. Un prix bradé qui symbolise à lui seul la crise traversée par la presse américaine traditionnelle.

En France, l’entrée dans le capital du journal Le Monde de la part du propriétaire de Free, Xavier Niel, n’a pas été anodine. Mais on peut également citer le rachat du journal France-Soir par une société spécialiste du paiement en ligne : Cards Off.

 

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