De notre correspondant à La Paz
Il ne leur reste qu’une montagne à franchir. Désormais aux pieds de la Cordillère des Andes, les Indiens de l’Amazonie bolivienne n’entendent pas flancher et comptent bien rallier La Paz, à 3 600 mètres d’altitude, d’ici une petite semaine.
Pour la plupart vêtus de bermudas en toile et de sandales en plastique, ils avancent environ une vingtaine de kilomètres par jour et en ont déjà parcouru environ 500 depuis la ville amazonienne de Trinidad, au nord-est du pays. « J’ai des ampoules plein les pieds, je suis fatiguée et le fait de monter est difficile pour mon cœur, mais j’ai encore beaucoup de courage pour arriver jusqu’au bout », raconte ainsi Maria.
Organisations indigènes et syndicales du pays soutiennent les marcheurs
Chaque nuit, ils campent là où les autorités des villages d’étape le leur permettent, généralement sur le terrain de foot municipal et cherchent immédiatement un point d’eau potable. Les organisations indigènes et syndicales du pays leur font aussi parvenir quelques vivres et les fournissent en tentes, couvertures et médicaments.
Car la marche a lieu en famille. Femmes, enfants et personnes âgées font partie du cortège et assument la dureté du défi, comme Julia, 24 ans, enceinte et accompagnée de ses trois enfants : « si je dois donner naissance pendant la marche, je le ferai ».
Car si la route traverse le Tipnis, craignent les indigènes, cela signifiera la fin de leur mode de vie ancestral, fait de chasse, de pêche, de cueillette et de culture de manioc ou encore de riz.
Comme ses compagnons marcheurs, Julia a donc aussi du se résigner à abandonner provisoirement ses cultures : « Le mois d’août c’était justement l’époque des semis. Or nous étions déjà en train de marcher et ça nous porte préjudice. Mais finalement, nous n’allons pas mourir si nous passons une année sans riz, nous et nos enfants. Ce que nous voulons c’est que le gouvernement respecte notre droit, car ça, c’est pour toute la vie ». Le 25 septembre dernier, une violente intervention policière s’abat sur leur campement à Yucumo, dans la région du Beni. La répression fait plusieurs dizaines de blessés et disperse un temps la marche. Maria est encore traumatisée : « Ils nous ont frappés sans retenue et nous ont aspergé de gaz lacrymogène. Je n’aurais jamais cru ça de la part de ce gouvernement ».
Elan de sympathie en Bolivie pour la marche des Indiens
Mais la charge des forces de l’ordre génère également un mouvement national de sympathie envers les marcheurs et de colère envers le gouvernement d’Evo Morales, lui-même amérindien et élu sur un programme de défense des droits indigènes. Jenny Suarez, dirigeante de la marche, s’estime trahie : « Nous avons donné notre vote, non pas au président Evo, mais à un processus de changement. Nous pensions qu’avec un gouvernement indigène, les peuples indigènes allaient être renforcés. Mais nous nous sommes trompés en accordant notre vote ».
Malgré le coût politique croissant du conflit, le président Morales continue à défendre le projet routier au nom du développement et accuse les marcheurs d’être manipulés par l’opposition. Ses partisans ont annoncé la tenue d’une manifestation de soutien à la politique du gouvernement mercredi prochain, soit peu avant l’arrivée programmée des marcheurs indiens à La Paz.