France-Québec: apaisement ou banalisation?

Il y a cinquante ans tout juste, le 5 octobre 1961, le Québec, province francophone du Canada, installait à Paris sa première antenne diplomatique. Pour célébrer cet anniversaire, une importante délégation québécoise est ces jours-ci en France, conduite par le Premier ministre du Québec Jean Charest.

La création de ce qui était au début la « Maison du Québec », avant de devenir la « Délégation générale du Québec », s'était d'abord faite en harmonie avec le pouvoir fédéral canadien. Mais l'affaire allait vite devenir très polémique, et la tension culminer lors du fameux « Vive le Québec libre ! » prononcé en 1967 par le général de Gaulle depuis le balcon de l'Hôtel de ville de Montréal. Mais d'autres incidents devaient émailler cette relation pas toujours sereine.

Frédéric Bastien, professeur au collège Dawson de Montréal, se souvient de la visite troublée du Premier ministre Raymond Barre en 1979, sous le mandat, à Ottawa, de Pierre-Eliott Trudeau. « Il y avait eu une multitude d'incidents protocolaires presque kafkaïens. Notamment, à la fin, l'avion de M. Barre ne pouvait pas décoller de l'aéroport à cause d'une dispute entre un ministre fédéral et René Lévesque (Premier ministre indépendantiste québécois) sur la question de savoir qui allait saluer en dernier le chef du gouvernement français. Evidemment, cela semble un peu drôle aujourd'hui, mais tout cela relevait de la volonté de Trudeau d'essayer de revenir en arrière pour réduire la relation entre la France et le Québec ».

Mais c'est l'apaisement qui prévaut aujourd'hui, et la délégation générale reste un instrument très apprécié des actuels gouvernants québécois. La ministre des Relations internationales Monique Gagnon-Tremblay rappelle que, si « le Québec est aujourd'hui représenté par des bureaux et délégations générales dans 17 pays, ici, en France, c'est vraiment exceptionnel, très différent, grâce à ce couloir qui est comme une ambassade, car nous avons des liens directs avec le gouvernement sans passer par l'ambassade canadienne ». A partir de cette première antenne, la province francophone a cherché à développer son réseau international, « parce que nous voulions préserver notre langue et notre culture, et en même temps faire des affaires ». D'ailleurs, la présence au sein du gouvernement québécois d'un titulaire des « Relations internationales » est un cas unique dans la fédération canadienne.

Des relations pas toujours sereines

Ce qui ne veut pas dire que les tensions ne pourraient pas renaître. Il s'agit en fait d'une relation à trois, entre Québec, Ottawa et Paris. Et ces dernières années, l'anicroche serait plutôt venue de Nicolas Sarkozy lui-même -qui au passage n'a pas prévu de recevoir Jean Charest à l'Elysée ces jours-ci. Mais Québec n'a pas pris ombrage des déclarations de 2008. Le président français avait traité le nationalisme et le souverainisme québécois de démarches du passé allant « dans le mauvais sens de l'histoire », se souvient Frédéric Bastien, qui ajoute que de tels propos auraient pu être très mal reçus, si ce n'est que « le gouvernement actuel est résolument fédéraliste, pro-unité du Canada. Personne actuellement ne plaide pour le souverainisme, ces paroles sont donc tombées à plat, dans un débat qui n'avait pas lieu, et elles sont restées sans conséquences ».

La tiédeur du président français, ajoutée au loyalisme canadien de Jean Charest, explique que le quotidien québécois Le Devoir parle ce matin d'une « passion disparue », d'une relation « banalisée ». Malgré un élan politique affadi, la coopération se poursuit cependant. Elle continue de produire ses fruits, car les secteurs sociaux, les corps de métiers, les jeunes... s'en sont directement emparés. Par exemple, de nouveaux accords très concrets, sur la mobilité de la main-d'œuvre et la reconnaissance des diplômes, ont été récemment signés.

Le séduisant « Plan Nord »

Mais le sociologue Gérard Bouchard, de l'Université de Chicoutimi, décèle d'inquiétantes évolutions. « L'engouement pour la France s'est beaucoup refroidi chez les jeunes Québécois mondialisés, pour qui la France serait devenue un pays comme un autre », déplore-t-il, en rappelant que, dans les années 1960, pour les étudiants de sa génération, « la France était un pays qui allait de soi ». Pour compenser, ce sont les étudiants français qui se bousculent maintenant aux portes des universités québécoises.

Quant à la coopération économique, malgré les professions de foi, elle n'a jamais vraiment décollé. Bien que Jean Charest soit aujourd'hui porteur, pour attirer les investisseurs français, du séduisant Plan Nord, un plan de mise en valeur des territoires septentrionaux du Québec, qui constituent 72% de l'ensemble de la province, et qui restaient jusque-là inexploités.

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