C’était le 6 juin, au tribunal de Manhattan. Le feuilleton judiciaire en était à son troisième épisode : après sa comparution devant la juge Mélissa Jackson, le 16 mai, et son inculpation, trois jours plus tard, DSK retournait ce jour-là devant la justice américaine pour faire savoir qu’il plaiderait « non coupable ». A la sortie de la salle d’audience, maître Thompson, avocat de la plaignante, apparaissait pour la première fois sous les minettes des caméras, vindicatif et avant tout confiant dans un dossier qui s’engageait mal pour l’ex-directeur du FMI. Les témoignages de moralité s’étaient multipliés dans la presse depuis le début de l’affaire, vantant les mérites de sa cliente, une femme de ménage « bonne musulmane » et « sans histoire ». Elle n’étant que témoin dans la procédure pénale américaine, lui n’avait qu’à représenter sa cliente et laisser l’accusation faire son travail.
Un mois plus tard, Kenneth Thompson affiche un autre visage. S’il n’a rien perdu de son éloquence, le ton est plus agressif, le propos moins mesuré. Le vocabulaire plus cru, également. Le New York Times, dans son édition du 1er juillet, vient de révéler que les services du procureur avaient de sérieux doutes sur la crédibilité de sa cliente. La même presse qui avait condamné DSK avant son procès, tombe désormais à bras raccourcis sur le procureur, chargé de l’accusation, pour un dossier « mal ficelé ». Par peur de voir toute l’affaire se dégonfler, l’avocat de Nafissatou Diallo contre-attaque : il maintient disposer de preuves « scientifiques » de l’agression, renouvelle son soutien à Tristane Banon (la journaliste française qui accuse DSK d'une tentative de viol survenue en 2003), attaque le New York Post en diffamation pour avoir annoncé que la plaignante était une « prostituée », et demande que le procureur se dessaisisse de l’affaire, l’une de ses assistantes étant mariée à l’un des avocats de l’accusé.
Un procès civil remis en cause
Dans ce rôle, Kenneth Thompson est à son aise. Défenseur, presque autoproclamé, du « faible contre le fort », ce fils de flic, diplômé de la faculté de droit de New York en 1992, avait déjà eu fort à faire lorsque procureur fédéral à Brooklyn, à la fin des années 1990, il s’était attaqué à l’institution policière new-yorkaise en envoyant en prison, pour trente-cinq années, l’officier Justin Volpe, coupable, parmi d’autres, d’avoir torturé un jeune Haïtien lors d’une garde à vue. Passé dans le privé en 2003, l'avocat retrouve la lumière des médias, trois ans plus tard, en défendant Kimberly Osorio, rédactrice en chef du magazine de hip-hop The Source, renvoyée pour avoir dénoncé le harcèlement sexuel dont elle faisait l’objet. Kenneth Thompson lui obtient alors huit millions de dollars.
En le prenant à ses côtés, Nafissatou Diallo envisageait une action au civil. La teneur de la conversation rapportée par le New York Times, entre la plaignante et un ami détenu dans une prison de l’Arizona, sur les moyens financiers dont disposerait DSK, ne laisse pas de doute quant à la perspective de la jeune femme d’obtenir d’importants dommages et intérêts. Dont un pourcentage retomberait dans les poches de l’avocat. Mais au regard de la tournure que prennent les événements, Kenneth Thompson joue bien plus. Et même si les deux procédures (pénale et civile) sont théoriquement indépendantes l’une de l’autre, un non-lieu dans la première saperait en grande partie l’argumentation de l’accusation dans la seconde.