Avec notre correspondant à Buenos Aires, Jean-Louis Buchet
Au panthéon des lettres argentines, Ernesto Sabato figurait déjà aux côtés des plus grands, dont Jorge Luis Borges. Mais on ne pouvait imaginer deux profils plus dissemblables. L’auteur de L’Aleph était un écrivain éloigné des réalités du monde, alors que Sabato était d’abord un intellectuel engagé.
Physicien de profession, Ernesto Sabato avait travaillé à Paris à l’institut Curie. Comme beaucoup d’hommes de son temps, il soutient d’abord l’Union soviétique. Il vient à la littérature après avoir rompu avec le communisme, tout en participant au débat politique de son pays.
Sous la dictature, il est un des premiers à dénoncer les crimes des militaires. Au retour de la démocratie, le président Raul Alfonsin le nomme à la tête de la commission d’enquête sur les disparus dont le travail aboutit au rapport Nunca mas - Jamais plus - qui recense 8 900 victimes et démonte la machine à tuer de la junte. C’est ce rapport qui permet en 1985 de juger et de condamner à perpétuité les chefs de la dictature.
Affaibli par la maladie et la disparition de son épouse, Ernesto Sabato ne quittait plus sa modeste maison de la banlieue de Buenos Aires. Il avait perdu la vue et ne pouvait plus s’adonner à la peinture dont il disait qu’elle apaisait son âme, tourmentée par les horreurs dont les hommes sont capables. Il s’éteint presque centenaire, à la veille d’un hommage que devait lui rendre le salon du livre de Buenos Aires.