Changement de garde dans la mafia montréalaise

Les spéculations vont bon train depuis l’assassinat, chez lui, du parrain de la mafia montréalaise le 10 novembre 2010. Pour l’instant, les enquêteurs ignorent qui a tiré sur Nicolo Rizzuto, 86 ans, le chef du clan des Siciliens dans sa demeure cossue, et les conséquences de ce meurtre sur l’organisation de la famille.  

Un simple trou dans la fenêtre de la cuisine toute vitrée. Un homme fauché alors qu’il s’apprête à se mettre à table, des femmes en larmes, la femme et la fille du patriarche. L’enchaînement des séquences qui se sont déroulées dans un quartier cossu de Montréal le 10 novembre dernier n’a rien à envier aux multiples films sur la mafia et ses parrains. Comme au cinéma, le chef longtemps craint et respecté du clan Rizzuto est tombé sous la balle unique, d’un tireur embusqué dans le petit bois qui jouxte sa luxueuse demeure. Un assassinat qui survient presque un an après celui de son petit-fils, Nick Rizzuto Jr, pressenti pour prendre la succession de son grand-père. Lui aussi a été victime des tirs d’un tireur en pleine rue dans un quartier de Montréal.

Roi et maître pour une trentaine d'années

Chapeau mou sur les yeux, toujours tiré à quatre épingles dans des costumes taillés sur mesure, Nicolo Rizzuto incarnait le « parrain » dans toute sa splendeur. Pour plusieurs chroniqueurs judiciaires, ce Sicilien d’origine, arrivé à Montréal avec femme et enfants en 1954 avait réussi à conjuguer tradition mafieuse et modernité nord-américaine. Au début, il travaille avec le clan calabrais. Jusqu’à ce que son trop grand appétit pour les lucratifs contrats de la famille l’oblige à fuir au Venezuela. En Amérique du Sud, Nick Rizzuto noue des contacts avec le cartel de la Colombie, contacts qui lui permettent d’importer de la drogue au Québec lorsqu’il revient dans les années 70. Entre-temps, son rival, Paolo Violi, est assassiné ainsi que ses frères. Avec l’accord de la famille Bonanno de New York qui supervise les agissements de mafia montréalaise, le voilà roi et maître du trafic de drogue, dans la métropole québécoise dans les années 80. Le clan Sicilien supplante les Calabrais à Montréal pour une bonne trentaine d’années.

Dès 2004, Vito Rizzuto laisse un grand vide dans le clan sicilien

Son assassinat le 10 novembre dernier sous les yeux de sa femme et de sa fille montre clairement selon les enquêteurs et les commentateurs que le pouvoir de la mafia change actuellement de mains. La dégringolade des Siciliens remonte à 2004, plus exactement au moment de l’arrestation du fils de Nick Rizzuto, Vito, et son extradition aux Etats-Unis. Le sexagénaire purge actuellement une peine de dix ans de prison pour un triple meurtre. Connu pour ses facilités à dialoguer avec les différentes factions du crime, Vito a laissé un grand vide dans le clan. Depuis quelques années, les proches du parrain Rizzuto ont commencé à tomber comme des mouches sous les balles des tireurs, ou ont mystérieusement disparu, comme le propre gendre du patriarche, Paolo Renda. Lorsque le fils Rizzuto sortira de prison dans deux ans, il ne restera sans doute plus grand chose de son clan.

«Qui va prendre le pouvoir à Montréal ? », se demandent les spécialistes du milieu. Certains avancent que la mort de Nicolo Rizzuto aurait été commanditée par la famille Bonanno de New York qui appuierait un retour des Calabrais. D’autres parlent d’un conflit de générations au sein même du clan. Le fait que le parrain a été tué sous les yeux de sa famille laisse entendre, selon un enquêteur retraité, que la mafia ne le respectait plus car les règles d’honneur interdisent un assassinat en présence des femmes et des enfants. D’où l’hypothèse avancée par certains que le meurtre ait été commis par d’autres factions criminelles comme les Hell’s Angels ou les bandes de rues. Ces dernières sont de mieux en mieux organisées à Montréal, et voudraient sans doute pouvoir importer de la drogue sans passer forcément par la mafia.

Des liens formels entre la mafia et l’industrie du bâtiment

Ces changements de garde dans la mafia ne concernent pas seulement les milieux interlopes. Ils ont aussi des répercussions sur la vie politique québécoise. Des enquêtes effectuées par le quotidien La Presse, ainsi qu’une émission de télévision de Radio-Canada souligne l’existence de liens formels entre la mafia et l’industrie du bâtiment. Un enquêteur québécois a confirmé l’existence d’un cartel de quatorze entrepreneurs en construction qui conviennent de prix-planchers pour obtenir certains marchés publics, en particulier à Montréal. La mafia veille à ce que les autres entreprises ne postulent pas pour les mêmes contrats en usant de menace. En échange, les heureux élus, les membres du cartel, versent aux mafieux un pourcentage de leurs recettes.

Depuis des mois, l’opposition réclame à corps et à cris une commission publique d’enquête pour fouiller les ramifications entre le milieu du crime, l’industrie du bâtiment et certains élus. En vain. Le Premier ministre Jean Charest persiste et signe, l’enquête baptisée opération « Marteau » relève de la police.

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