En Haïti, l’Etat de droit ne progresse qu’à petits pas

La situation humanitaire reste préoccupante plus de six mois après le séisme mais les institutions internationales ne veulent pas renoncer aux travaux de réforme lancés avant le 12 janvier. L'école de la magistrature a ainsi pu inaugurer grâce à l'appui des Nations unies un cycle de formation continue. L’appareil judiciaire reste néanmoins paralysé, René Préval n’ayant toujours pas nommé le président de la Cour de cassation. 

de notre correspondante à Port-au-Prince

Réviser les procédures pénales, se familiariser avec les notions d’enquête de police judiciaire : une dizaine de magistrats en fonction confrontent leurs pratiques, échangent leurs expériences avec toujours le code pénal à portée de main. A Port-au-Prince, l’école de la magistrature, épargnée par le tremblement de terre, inaugure pour la première fois de son histoire un cycle de formation continue. Dans un pays où les applications de la loi varient parfois d’un département à l’autre, d’un tribunal à l’autre, l’utilité d’un tel séminaire est plus que justifiée.

« Ces échanges nous permettent d’uniformiser notre tâche », explique Maître Emmanuella Saint-Pierre. « Selon les régions, certains textes de lois sont soumis à interprétation, en s’appuyant sur la coutume locale. Ici, nous travaillons ensemble sur les applications des textes selon le vœu du législateur. Cela ne peut être que bénéfique pour le système judiciaire haïtien. »

Un corps de magistrats faiblement formé

A 36 ans, l’unique femme présente à ce séminaire est devenue substitut du commissaire du gouvernement au tribunal civil des Gonaïves après un cursus en droit à l’université. Une formation classique que ne partagent pas tous ses collègues. Le corps judiciaire haïtien est constitué de personnes aux compétences variables. « Certains magistrats sont nommés sur des bases qui ne sont pas légales, certains sont nommés sur des bases de clientélisme, nous le savons tous » explique le directeur de l’école de la magistrature Lionel Bourgouin. « D'autres encore sont issus de la formation initiale de l'école de la magistrature, enfin certains ont été recrutés sur la base de leurs expériences professionnelles. » Une mosaïque au niveau de la magistrature qui confirme à Lionel Bourgouin l’utilité de cette formation continue : « Si les magistrats ne sont pas bien formés nous ne pourrons pas atteindre un niveau de sécurité juridique suffisant et le pays ne pourra pas connaître son plein développement. »

Lenteur des réformes

La communauté internationale partage cette envie de progrès et travaille avec l’Etat haïtien à l’instauration d’un pouvoir judiciaire fort et indépendant. Depuis 2005, la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) a mis sur pied une section justice pour conseiller les autorités. En 2007, une étape majeure vers l’indépendance de la justice est franchie avec le vote de trois lois majeures (définissant le statut de la magistrature, les fonctions de l’école de la magistrature et du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire). Mais leurs applications concrètes, telles que la reprise des formations à l’école de la magistrature, ne commencent que timidement à voir le jour. « C’est une des caractéristiques haïtiennes » selon Danielle Saada, aujourd’hui à la tête de la section justice de la Minustah. « Les choses avancent et puis on attend. Vient ensuite un rebondissement. Il faut le temps que les esprits se fassent à la réforme ».

L’instabilité gouvernementale en Haïti ne favorise pas non plus une évolution rapide. Depuis 2005, trois ministres se sont succédé à la justice ce qui ne décourage pas les équipes onusiennes. Le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) appuie les efforts de l’école de la Magistrature, grâce à une aide budgétaire de 375 000 dollars pour les années 2010-2011. « Il ne faut pas perdre espoir : nous, PNUD et MINUSTAH, explique Danielle Saada, nous essayons de faire avancer les choses même si ce sont que des tous petits pas. Je pense que c'est ça notre philosophie : avancer où nous pouvons. Mais nous ne pouvons pas nous mettre à la place des autres

Dans l’attente de décision présidentielle

Car si la communauté internationale soutient les autorités dans leurs efforts pour réduire la corruption (le plus grand obstacle à l’instauration d’un réel état de droit) et pour améliorer la formation des magistrats, elle ne peut, ne veut se substituer à l’Etat haïtien. Et Danielle Saada sait que l’appareil judiciaire du pays ne pourra pleinement fonctionner que lorsque le président de la Cour de cassation sera nommé.

Depuis plus de trois ans, la plus haute instance juridique du pays attend que René Préval prenne sa décision. La chef de la section justice de la Minustah avoue là son impuissance : « Ce n’est pas du ressort de la Minustah, nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir. C’est aujourd’hui un problème qui concerne le président de la République. » Au fil de ses missions, Michel Forst, l’expert indépendant pour les droits de l’Homme en Haïti, n’a cessé aussi de souligner l’importance de cette nomination, « clé de voûte de l’édifice qui permet de faire démarrer la mécanique. » Mais ses rapports et recommandations se suivent, s’ajoutent aux interrogations de la société civile sans que le premier citoyen haïtien ne prenne sa décision.
 

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