Aujourd’hui, les agents secrets américains pourchassent des terroristes islamiques et des industriels mégalomanes, mais plus d’espions russes. La guerre froide est terminée, le KGB devenu une note en bas de page de l’Histoire. La Russie n’est plus l’ennemie déclarée des Etats-Unis.
Cet état d’esprit rassurant, largement répandu parmi l’opinion publique outre-Atlantique, a été lourdement ébranlé ce lundi. Sidérés, les Américains ont découvert l’existence d’un réseau secret russe sur leur sol, dont les membres ont pris pendant des années l’apparence de citoyens américains ordinaires.
En apparence des citoyens américains ordinaires
Cynthia et Richard Murphy vivaient dans la petite ville verdoyante de Montclair dans le New Jersey. Les épouses menaient une vie discrète, avaient des emplois normaux et entretenaient d’excellentes relations avec leur voisinage. Personne de leur entourage ne se doutait de leurs véritables activités. Aux yeux de tout le monde, les époux Murphy étaient un couple comme tant d’autres.
Ce lundi, Cynthia et Richard Murphy ont pourtant comparu devant un tribunal fédéral à New York. Avec huit autres personnes, toutes arrêtées dimanche, ils sont soupçonnés d’espionnage pour le compte des services secrets russes, neuf d’entre elles sont également soupçonnées de blanchiment d’argent. Une onzième personne a été arrêtée ce mardi à l'aéroport de Larnaca dans le Sud de Chypre alors qu'elle s'apprêtait à prendre un vol à destination de Budapest. Il s’agit d’un homme âgé de 54 ans, de nationalité canadienne mais détenteur d’un passeport américain.
SVR : « Un excellent niveau de professionnalisme »
La plainte formulée par le FBI (la police fédérale américaine) est un document de trente-sept pages qui se lit comme un roman tout droit sorti de l’époque de la Guerre froide : les présumés espions, qui se disent de nationalités américaine, canadienne et péruvienne, utilisaient des faux passeports et récupéraient, pour certains, l’identité de personnes décédées. Un dépôt d’argent, contenant des sommes importantes, était enterré dans un champ en raz campagne. Des données sensibles étaient transférées via un réseau électronique secret.
Pour les enquêteurs américains, il est établi que les onze personnes arrêtées travaillaient pour le compte du SVR, du service de renseignements extérieurs russe.
Eric Denécé, directeur du Centre français de recherches sur le renseignement, souligne que le SVR est « un service avec un excellent niveau de professionnalisme. Une partie des méthodes que le KGB a toujours utilisées semble avoir été appliquée dans cette opération, notamment l’utilisation de l’identité de quelqu’un qui est mort. Le renseignement, comme tous les métiers, s’adapte à l’évolution technologique, ce qui amène un certain nombre d’innovations opérationnelles qu’on ne connaiît pas toujours mais qu’on découvre lors d’arrestations de cette nature. »
Infiltration politique
D’après l’enquête du FBI, les espions présumés avaient pour mission d’infiltrer les cercles politiques américains et de faire des rapports réguliers à Moscou. Aucune information n’a en revanche été donnée sur la nature des renseignements recherchés par le SVR, ni sur l’éventuel succès de l’opération d’infiltration.
« Les très grands pays, comme la Russie, les Etats-Unis ou la Chine, continuent à faire du renseignement tous azimuts. Une part importante de leurs services est affectée à la lutte anti-terroriste », explique Eric Denécé. Mais une autre partie des services de renseignement de ces pays est utilisée « pour faire de l’espionnage politique, militaire, économique et financier. Ces activités ne se sont pas arrêtées avec la fin de la Guerre froide ».
Aujourd’hui la question est de savoir si les onze espions arrêtés ne sont pas que la partie émergée de l’iceberg. D’après le document du FBI, ils appartiennent à un « programme illégal », d’un effort ambitieux et sur le long-terme du SVR, qui vise à implanter des agents secrets russes aux Etats-Unis afin de recueillir des renseignements et de recruter encore d’avantage d’espions pour le compte de Moscou.
Les relations américano-russes ne devraient pas être affectées
Le coup de filet contre le présumé réseau d’espionnage au profit de la Russie intervient quelques jours seulement après la visite du président russe Dimitri Medvedev à Washington. Barack Obama et lui-même avaient alors ostensiblement célébré l’entente retrouvée entre les ex-ennemis de la Guerre froide. Selon un membre de l’administration Obama, cité sous couvert d’anonymat dans le New York Times, le président américain n’était pas heureux du moment choisi pour le démantèlement du réseau secret. Mais les responsables du FBI avaient apparemment peur que les suspects puissent prendre la fuite.
A Moscou comme à Washington, les observateurs s’accordent pour dire que l’affaire d’espionnage présumé ne devrait avoir aucune influence conséquente sur les relations bilatérales entre la Russie et les Etats-Unis.
« Cela ne changera absolument pas les relations américano-russes », estime aussi le directeur du Centre français de recherches sur le renseignement, Eric Denécé.
« Là, les Russe sont pris la main dans le sac et ils doivent être sanctionnés. Mais nous ne considérons pas du tout les Américains comment des victimes. Dans ce jeu d’espionnage, les rapports et les agressions sont vraiment équilibrés. D’ici une semaine ou deux, cette affaire va retomber. Et ensuite les négociations auront lieu dans le plus grand silence ».