RFI : Comment expliquer l’influence grandissante du vote des Afro-américains dans cet État du sud-est des États-Unis ?
Nicolas Raulin: D’une part, la population a augmenté en Géorgie depuis les années 1970, où l’on comptait environ 25% d’Afro-américains. Ce chiffre tourne aujourd’hui autour de 30%, ce qui représente une augmentation non négligeable.
D’autre part, les Afro-américains soutiennent massivement le Parti démocrate depuis les années 1960, ce qui correspond à l’époque où leur vote a été protégé et garanti par la loi. Ce sont les deux principaux facteurs qui expliquent la place centrale du vote afro-américain dans l’élection des candidats démocrates.
Faut-il parler de « prise de conscience » de la communauté noire qui s’est inscrite en masse sur les listes électorales ?
Il s’agit surtout d’un travail de terrain des militants afro-américains depuis l’époque de la lutte pour les droits civiques, dès les années 1960, et prolongé depuis 2014 par Stacey Abrams, l’ancienne cheffe de la minorité démocrate à la Chambre des représentants de Géorgie. Elle a beaucoup œuvré pour inscrire les Afro-américains sur les listes électorales à travers sa fondation, The New Georgia Project. On estime que 800 000 personnes ont bénéficié de ce dispositif entre 2017 et 2018, et c’est sans doute pour cette raison qu’elle a été très proche de remporter le poste de gouverneur de Géorgie en 2018.
Dans vos travaux, vous avancez également la problématique de l’urbanisation de la Géorgie. Qu’entendez-vous par là ?
On observe que dans les années 1950, la Géorgie était un État majoritairement rural, Atlanta étant une ville moyenne provinciale. Mais au fil du temps, Atlanta est devenue l’une des plus grandes métropoles du pays en absorbant tous les comtés ruraux aux alentours. En 70 ans, sa population est passée de 1 à 6 millions d’habitants, soit plus de la moitié des citoyens de l’État de Géorgie. Elle pèse énormément d’un point de vue démographique, or les urbains ont tendance à voter démocrate, c’est aussi cela qui peut expliquer la victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle.
Vous rappelez également qu’Atlanta a élu le premier maire noir d’une grande ville du Sud dès 1974…
Ça a été une victoire politique importante, puisque Maynard Jackson, qui a été élu en 1974, a mis en place des politiques de discrimination positive. Par exemple, une partie des contrats municipaux était réservée aux entreprises détenues par des Afro-américains. Ça a aussi été un signal fort, une victoire symbolique qui venait prouver que le Sud ségrégationniste et raciste avait certainement changé depuis le mouvement des droits civiques. Et qui a d’ailleurs entraîné un phénomène de migration vers le Sud des États-Unis et particulièrement vers Atlanta, que l’on a surnommée un temps « la nouvelle Mecque noire » des Afro-américains.
De quelle manière cette histoire forte peut-elle jouer dans l’élection sénatoriale qui se tient ce 5 janvier ?
Les études montrent que les électeurs afro-américains se sont davantage déplacés pour voter en 2008 et 2012 que cette année. À l’époque, ils pesaient 30% des suffrages exprimés, contre 27% lors de la présidentielle qui vient de se dérouler. Donc il semblerait que cet électorat se déplace davantage lorsque des candidats noirs sont en lice. On verra si Raphael Warnock, l’un des deux hommes qui représente les couleurs démocrates, va bénéficier de cet élan qui pourrait être décisif.