RFI : Bernie Sanders a annoncé qu’il ne se rendrait pas à la conférence de l’American Israël Public Affairs Committee –Aipac–, dont il juge la politique « contraire aux droits basiques des Palestiniens ». Comment analyser cette décision ?
Sylvain CYPEL : Bernie Sanders exprime une tendance qui est en croissance importante aux États-Unis, parmi les juifs américains, mais pas seulement. C’est une modification du regard porté sur Israël. Il y avait par exemple un vote au Sénat, il y a quelques mois, sur la pénalisation du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions –BDS–. Sur sept sénateurs démocrates candidats aux primaires, six ont voté contre la pénalisation de ce mouvement. Ils savaient que désormais, dans la jeunesse démocrate, l’idée de pénaliser un mouvement qui appelle au boycott d’Israël ne passe plus. Sanders sent cette mouvance au sein du parti démocrate et la représente. Il sera peut-être bientôt le premier candidat de religion juive d’un des deux grands partis américains pour la présidentielle. Tout en étant un critique féroce de la politique israélienne.
Elizabeth Warren a, elle aussi, fait savoir qu’elle ne se rendrait pas à la conférence…
C’est d’ailleurs la première à l’avoir annoncé, avant Bernie Sanders. Elle a été suivie par Amy Klobuchar, puis Pete Buttigieg. Même Joe Biden, qui s’est rendu plusieurs fois à la conférence de ce lobby dans le passé, n’avait pas confirmé, vendredi soir, sa présence cette année, alors qu’il est perçu comme un grand ami d’Israël. Il est devenu difficile, lorsque l’on est démocrate, de s’afficher avec l’Aipac. C’est la conséquence d’une pression de la base électorale démocrate, notamment des jeunes. Il faut comprendre que l’Aipac est un lobby pro-israélien, ce n’est pas la communauté juive en tant que telle. On retrouve par exemple à l’intérieur de l’Aipac toute la mouvance évangélique. De plus, l’Aipac a totalement collé à la politique du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, quasiment sans jamais émettre le moindre doute. Ce qui compte pour ce lobby, c’est qu’il n’y ait pas une feuille de papier à cigarettes entre le soutien à Israël et la politique américaine.
Donc, la prise de distance entre une partie des démocrates et l’Aipac a aussi à voir avec la politique de Donald Trump au Proche-Orient ?
L’Aipac a été un élément très important pour « faire passer » la politique de Donald Trump aux États-Unis. Cette politique précède même les propres souhaits de l’Aipac ! Jamais ni l’Aipac, ni aucun gouvernement israélien n’aurait pu imaginer qu’un gouvernement américain romprait avec tous les éléments de droit international votés à l’ONU, contre la colonisation, l’occupation des territoires. Quand on est contre Trump, on se retrouve contre l’Aipac. Vous avez donc aujourd’hui beaucoup de personnes qui rejettent l’activisme de l’Aipac, y compris au sein de la communauté juive. Il y a un fossé qui se creuse sur des enjeux de fond, une partie croissante du judaïsme américain s’éloigne du soutien à Israël.
Michael Bloomberg, autre candidat à la primaire démocrate, va lui intervenir devant l’Aipac.
Bloomberg a promis [s’il est élu, ndlr] qu’il ne toucherait pas à ce qu’a fait Donald Trump pendant son mandat. Il n’abandonnera pas l’idée de l’implantation de l’ambassade américaine à Jérusalem contrairement à Sanders. En revanche, il affirme qu’il reviendra à une politique de négociation pour la création d’un État palestinien. Ce n’est pas exactement la position de l’Aipac ni celle de Benyamin Netanyahu.