Depuis samedi, les manifestations au Soudan sont entrées dans une nouvelle phase. Déjà parce que c’est la première fois que des protestations rassemblent autant de monde en trente ans de règne d’Omar el-Béchir. Ensuite parce que l’armée semble leur apporter du soutien.
Dopés par la contagion démocratique venue d'Algérie et suite à un nouvel appel de l'Association de professionnels soudanais, de nouveaux manifestants ont afflué mardi 9 avril au matin vers le centre-ville de Khartoum, bravant l'interdiction de manifester imposée par l'état d'urgence.
Ils ont rejoint celles et ceux qui sont campés depuis déjà quatre jours devant le quartier général de l’armée. Ce sont dorénavant plusieurs dizaines de milliers de contestataires qui occupent les lieux et s’affichent décidés à y rester jusqu’au départ du chef de l’État.
Ils appellent l'armée à rejoindre leur mouvement. Pourquoi l’armée ? Parce que jusqu’à présent celle-ci n’a pas participé à la répression contre ces manifestations. Cette répression violente est menée par le puissant Service de renseignement et par les forces de police anti-émeute. D’ailleurs cette nuit et pour la troisième nuit consécutive, les forces de police – accompagnée de milices – ont tenté de déloger les manifestants qui dorment devant le QG de l’armée.
Quel est le positionnement de l'armée ?
Selon les organisateurs de ce mouvement, il y a d’ailleurs eu sept morts et une vingtaine de blessés. Et selon des manifestants, des membres de l’armée se seraient interposés entre la population et la police pour protéger les civils. L'armée a ouvert les portes du complexe militaire pour protéger les manifestants. Des militaires ont également tiré en l'air pour repousser les forces sécuritaires.
La hiérarchie de l’armée n’a en revanche pas encore apporté de réponse à l'appel lancé la veille par l'opposition, qui souhaite discuter directement avec elle des modalités d'une transition.
La question est donc sur le positionnement de l'armée qui aujourd'hui envoie des messages contradictoires. D’un côté donc le ministre de la Défense disait lundi que « les forces soudanaises ne laisseront pas le pays sombrer dans le chaos ». De l’autre, le chef d'état-major de l'armée, affirme lui que l’armée va « continuer à protéger les citoyens ».
Et autre dénouement important ce mardi après-midi, le chef de la police qui a demandé a ses forces de ne pas intervenir contre les manifestants. Que veulent dire toutes ces déclarations ? Que l’armée et la police sont en train de se rapprocher des manifestants ? Et ce alors que les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Norvège ont appelé aujourd'hui à un « transfert pacifique du pouvoir ».
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Les forces fidèles à Béchir
Mais, jusqu'à preuve du contraire, le président Béchir peut toujours compter sur la loyauté du commandement de l'armée, même si certaines unités sont en mutinerie ouverte depuis lundi.
Mais il peut s'appuyer surtout sur le puissant National Intelligence and Security Service, la police secrète pour être plus clair. En vêtements civils, ce sont ses hommes qui circulent dans ces pick-up blancs redoutés par les manifestants. Son chef, en lien avec la présidence, est le très craint Salah Gosh, un homme qui ne cache pas ses ambitions, et qui dispose de quelques commandants fidèles. Mais dont la loyauté, disent plusieurs chercheurs, dépendra surtout de la suite des événements.
Tous en tout cas partagent au moins l'idée que le pouvoir ne doit pas échapper aux militaires, et surtout pas aux tribus arabes du Nord, celles des dirigeants actuels.
Mais Omar el-Béchir s'appuie également sur la Force de soutien rapide, la FSR, une milice supplétive formée en 2013 d'anciens miliciens janjawids. Dirigé par un chef à la sombre réputation, Mohamed Hamdan, dit Hemeti, il est surtout composé d'Arabes du Darfour et d'anciens rebelles de l'Ouest. Ce sont ses soldats, en uniformes camouflage beige, qui ont servi depuis trois ans à faire la police aux frontières contre les migrants.