« Le Congo est la plus grande crise de déplacement d’Afrique », d’après la porte-parole du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), Céline Schmitt. Pour s’en persuader, il n’y a qu’à regarder la carte réalisée par l’agence des Nations unies et placardée sur un mur de la salle. Des flèches partent tous azimuts de ce pays d’Afrique centrale de 80 millions d’habitants. Quant aux chiffres, ils sont à l’échelle du plus grand pays d’Afrique : 780 000 Congolais sont réfugiés dans les pays limitrophes. Mais à l’intérieur de ses frontières, ce sont plus de 4,5 millions de personnes qui sont « déplacées internes ». Comment s’en étonner alors que la République démocratique du Congo est en état de conflit permanent depuis 20 ans ?
Les raisons qui conduisent à ces déplacements de populations sont aussi diverses que le pays est complexe. C’est ce qu’elle a voulu mettre en lumière le HCR en confrontant le regard de deux photographes le temps d’une exposition à l’occasion du prix Bayeux des correspondants de guerre*. « Cette année [le HCR est partenaire du prix Bayeux depuis trois ans, NDLR], on voulait faire quelque chose sur une crise oubliée, une crise dans l’ombre, une crise dont on parle peu », souligne la représentante de l’agence des Nations unies.
Terre d’exil, terre d’accueil
« J’ai vu au moins cinq personnes se faire tuer. Des femmes ont aussi été violées », témoigne l’adjoint d’un chef de village dans la province du Tanganyika. Le dernier à fuir, précise la légende de la photo, il a marché quatorze heures sous une pluie battante dans la forêt pour rejoindre les gens de son village installés sur le site de Katanika. En janvier 2018, Colin Delfosse a photographié les déplacés de cette province du sud-est de la RDC. Viols, pillages, enlèvements… Depuis les violences communautaires qui ont éclaté en décembre 2013 entre Bantous de l’ethnie Luba et pygmées de l’ethnie Twa, des dizaines de milliers de personnes ont fui à l’intérieur du pays.
Le photographe italien Michele Sibiloni, qui vit en Ouganda depuis huit ans, a lui capturé en février dernier les réfugiés congolais qui traversaient la frontière pour fuir d’autres violences inter-ethniques, en Ituri, au nord-est du pays cette fois. Là, ce sont les tueries entre tribus pastorales Lendu et les éleveurs Hema qui sont à l’origine de ce flux de déplacés. Ce mois-là, en seulement trois jours plus de 22 000 Congolais ont traversé le lac Albert en quête de sécurité en Ouganda. Il décrit des réfugiés « traumatisés », affamés, après parfois plusieurs jours passés sans manger. Aujourd'hui, ces réfugiés sont expulsés en masse par les autorités de Luanda.
Mais si le pays du Dr Mukwege, prix Nobel de la paix, est une terre que l’on fuit, c’est aussi, plus étonnement, une terre d’accueil. Toujours selon le HCR, plus de 535 000 personnes y ont trouvé refuge. En novembre 2017, Colin Delfosse a documenté la situation des 90 000 Burundais arrivés en RDC depuis la crise politique de 2015, quand le président Nkurunziza avait refusé de céder sa place pour briguer un troisième mandat. Il y a aussi 40 000 Soudanais du Sud. Tout juste indépendant, le jeune Etat a plongé dans une guerre civile qui dure depuis cinq ans. Des réfugiés « qui n’ont pas d’autres choix que de fuir vers le Congo ». Une situation bien « paradoxale », pointe le photoreporter belge qui travaille depuis plus de dix ans dans l’ex-colonie, quand on connaît le chaos économique, politique et social qui règne dans le pays.
Sur les murs de l’exposition, peu de foules en mouvement. Mais beaucoup de portraits. A travers les nombreux témoignages recueillis, les deux photographes redonnent un visage à des chiffres qui ne disent plus grand-chose. Les yeux baissées, sur une photo, une jeune femme témoigne comment des milices pygmées ont tué son père avec des flèches et ont forcé ses quatre sœurs et elle à les suivre : « Nous sommes restées avec eux pendant cinq mois, dans la brousse, dans des cabanes où ils nous violaient. J’avais 15 ans. Quand ma mère a cherché de l’aide auprès de la Mission des Nations unies en RDC, ils ont fini par nous retrouver et ont négocié avec les Pygmées pour nous laisser partir. Nous étions toutes enceintes ».
« C’est de plus en plus triste »
Travailler pour le HCR a permis aux photojournalistes d’aller dans des zones très difficiles pour mettre en évidence l’ampleur de la crise humanitaire. D’autant que « plus aucun média aujourd’hui ne va pas payer pour envoyer des photographes dans ces régions-là si longtemps », note Colin Delfosse.
« On voulait aussi montrer une certaines générosité dans la crise, ajoute la représentante du HCR. Car quand les réfugiés arrivent, les premiers humanitaires ce sont souvent les habitants qui vivent déjà pourtant dans une extrême pauvreté et qui accueillent parfois les gens chez eux. »
En décembre, si tout va bien, la RDC élira un nouveau président après 17 ans de règne de Joseph Kabila. Mais il y a peu de chance que la spirale de guerres sans fin s’arrête. « Le HCR a commencé à travailler dans le pays dans les années 1970, et on n’en est jamais repartis », rappelle Céline Schmitt.
Après des années passées sur le terrain, les deux journalistes ne sont guère plus optimistes pour l’avenir : « Il n’y a rien de nouveau. C’est juste de plus en plus triste, car on se rend compte que rien ne change. Au fil des années, j’ai réalisé le manque de volonté politique », se désole Michele Sibiloni. Le plus grand pays francophone est face à des « défis gigantesques », estime également Colin Delfosse : « On voit mal comment cela peut bien se terminer. »
* Exposition jusqu’au 14 novembre au Musée d’Art et d’Histoire Baron Gérard (MAHB) de Bayeux