La grande cour carrée bordée d'allées à colonnades fait penser à un cloître de couvent. Dans les salles de classe attenantes, des Centrafricains sont concentrés autour de la lecture commune des principes pédagogiques développés par le mouvement bahaï. Nous sommes à l'institut Shoghi, au point km11, à la périphérie de Bangui. « Avant, notre centre de formation était situé plus loin, au PK47, mais en raison de la situation sécuritaire, nous avons préféré nous replier ici », explique le directeur régional en charge des formations, Dieudonné Simplice Ngaro-Nozita.
Présents depuis les années 1950 en République centrafricaine, les bahaïs ont surmonté toutes les crises, même si en 2013 les locaux du siège national à Bangui ont été pillés. « Cela nous a profondément meurtri », se souvient Nazaire Samson Manga, le secrétaire de l'Assemblée spirituelle nationale des bahaïs. Avant 'ajouter : « Mais je me rappelle également avoir reçu de nombreux courriers des principaux leaders religieux ». Une façon pour lui d'insister sur l'unité, un des principes bahaïs souvent mis en avant pour justifier leurs actions au sein de la société centrafricaine. Et l'éducation est la principale manière selon lui de parvenir à cette unité.
Des élèves de toutes religions
Discrète, la communauté bahaïe n'en tient pas moins en effet à jouer un rôle dans ce pays meurtri. Fort selon Nazaire Samson Manga de près de 30 000 membres en Centrafrique, le mouvement y a ouvert une quarantaine d'écoles d'inspiration bahaïe, ainsi qu'un centre de formation. Les quelque 80 « élèves » qui étudient au centre Shoghi sont en effet des enseignants en devenir ou souhaitant se perfectionner. Ils ne sont d'ailleurs pas tous de confession bahaïe. « Nous avons des catholiques, des baptistes, ou encore des pentecôtistes », insiste Dieudonné Simplice Ngaro-Nozita. « Nous ne faisons aucune discrimination. »
La coopération avec le gouvernement centrafricain ne s'est néanmoins pas fait sans réticences de la part de celui-ci. « Au début », reprend le directeur, « il y a eu un bras de fer avec le gouvernement, et les écoles ont été menacées de fermeture. Puis nous avons effectué toutes les démarches et, en 2004, nous avons signé une convention de partenariat avec les autorités ».
Une bonne réputation
Joséphine, la trentaine, a suivi sa première formation en 2010, pour enseigner jusqu'à aujourd'hui en maternelle. « Depuis mon enfance, je voulais être enseignante », affirme-t-elle. De confession protestante, elle enseigne désormais en grande section de maternelle, mais elle dit « avoir envie de progresser » et atteindre les niveaux de fondamentale 1 et 2 (CM1 et CM2). « L'approche des bahaïs développe mes capacités. Et là où je vis, dans mon quartier, j'ai beaucoup de considération. Ce qui me plaît, c'est qu'ils me forment sur les concepts spirituels, mais également sur la dimension pédagogique », explique-t-elle.
Selon elle, la réputation des écoles d'inspiration bahaïe est assez bonne chez les parents d'élèves. Dans un pays qui manque cruellement de professeurs titulaires, et qui fonctionne majoritairement sur le principe des « maîtres-parents » (des parents qui créent eux-mêmes leurs écoles), bénéficier d'enseignants formés est en effet une chance.
Comme dans toutes les écoles privées, ces enseignants sont payés par les frais de scolarité, et le salaire dépend des structures. « Certains touchent entre 30 000 et 60 000 FCFA [entre 45 et 90 euros] par mois », précise Dieudonné Simplice Ngaro-Nozita, soit un peu moins que leurs collègues du public. Chaque année, des animateurs pédagogiques sont également formés.
Des professeurs formés par le mouvement peuvent également être recrutés pour donner des cours dans le public en cas de besoin et, à l'inverse, des étudiants en fin de cycle à l'Université de Bangui, en attente d'affectation, peuvent faire des stages dans les écoles communautaires à vocation bahaïe.
« Le ministère à lui seul n'arrive pas à couvrir l'ensemble du territoire »
Pourquoi la République centrafricaine fait-elle appel à des organismes privés comme le mouvement bahaï ? « Nous sommes un pays en situation difficile, et le ministère à lui seul n'arrive pas à couvrir l'ensemble du territoire », explique Gilbert Selonkoue Feïbonazoui, directeur des enseignements au ministère de l'Éducation nationale. « Donc le partenariat avec la foi bahaïe est dans notre intérêt, puisque ce sont des enfants centrafricains qui sont en train d'être éduqués. »
Reste la question du contenu de l'enseignement. La pédagogie bahaïe insiste en effet sur la dimension spirituelle de l'enseignement. N'y a-t-il pas dès lors un risque de prosélytisme ? « Tout naturellement, le ministre de l'Éducation nationale a le monopole de l'apprentissage », rassure le Directeur des enseignements. « Donc la foi bahaïe n'utilise que le programme édicté par le ministère. Notre vigilance se situe au niveau du suivi de ce qui se fait, pour que l'uniformité de l'enseignement soit garantie. »