De notre correspondante à Rabat,
Si l'affaire a tant fait réagir l’opinion sur les réseaux sociaux, c'est parce que c’est sur Internet que le scandale a éclaté, lorsqu’a surgi le témoignage glaçant de la jeune Khadija, visage caché, montrant sur ses bras et jambes des tatouages grossiers, et des brûlures de cigarettes.
Très vite, les hashtags (mots-clés) #JusticePourKhadija et #NousSommesTousKhadija sont devenus viraux sur les réseaux sociaux. Y sont diffusés des appels à l’arrestation des coupables présumés, mais aussi des campagnes soutien. Des médecins et associations ont proposé leur aide. Effacement des tatouages par un dermatologue, suivi pédopsychiatrique, cagnotte en ligne... les initiatives se sont multipliées.
Une version dissonante dans cette affaire
Par la suite, la version contradictoire des familles de personnes arrêtées par la police est venue semer le doute chez les internautes. Elles ont donné leur version, décrivant une jeune fille aux mœurs dépravées, et s’adonnant à la prostitution et à la scarification de son plein gré.
« Si mon fils avait vraiment fait subir ces sévices à cette fille, je l’aurais amené moi-même au commissariat », affirme l’une des mères des prévenus. Mais pour beaucoup, il s’agit d’une « campagne de dénigrement », comme l’affirme l’internaute Lylou Slass, une Casablancaise qui a fait le déplacement jusqu’à Oulad Ayad, dans le centre du Maroc, pour rencontrer Khadija.
La mobilisation de l'opinion peut faire bouger la loi
Malheureusement, les affaires de viol en réunion sur des jeunes filles mineures, parfois même filmées et mises en ligne, sont courantes au Maroc. Les Marocains, très connectés à Internet, utilisent désormais à plein les réseaux sociaux pour faire savoir leur indignation.
La mobilisation de l’opinion a permis à plusieurs reprises d’accélérer l’arrestation des agresseurs, mais aussi faire de changer la loi. Cela avait été le cas en 2014, après le suicide d'Amina Filali, contrainte d'épouser son violeur comme l’autorisait alors la loi. Depuis, le texte a été abrogé.
La mobilisation sur les réseaux sociaux permet aussi de libérer la parole de ces jeunes femmes abusées, harcelées, souvent contraintes par le tabou social à la loi du silence. D'ailleurs, le nombre de plaintes pour viol enregistrées par les tribunaux a doublé l’an dernier, signe que les victimes ont de plus en plus recours à la justice pour faire valoir leurs droits.
« Nous sommes tous et toutes Khadija »
Des écrivains, des artistes, des sociologues et des personnalités de la société civile marocaine ont publié, mardi 28 août, dans le journal français Libération et plusieurs médias marocains, en français et en arabe, une tribune qui appelle à réagir efficacement après le calvaire de Khadija.
« Nous sommes tous et toutes Khadija », signent les intellectuels marocains, s'insurgeant contre l'impunité des violeurs et contre le silence de l'Etat. Parmi les signataires : Leila Slimani, Mehdi Qotbi, Mahi Binebine, Abdellah Taïa et la sociologue Sanaa el-Aji.
« A force de banaliser, et surtout de ne pas responsabiliser les auteurs de ces actes de viols ou de harcèlements, ça s’est propagé de plus en plus et on arrive, là, à des cas de viols collectifs », dénonce la sociologue Sanaa El Aji, interrogée par RFI.
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