« S’il vous plaît, je supplie les Européens de nous aider ». Cette femme qui témoigne est enceinte - elles sont deux à porter un enfant. T-shirt bleu, foulard coloré, l’air épuisé, elle parle face à la caméra. Emprisonnée en Libye, elle est parvenue à fuir et embarquer pour l’Europe avec une quarantaine d'autres personnes.
Un voyage avorté, puisque leur bateau a dérivé avant d'être signalé dans les eaux de sauvetage maltaises, puis secouru par le navire tunisien Sarost 5, la semaine dernière. Depuis, c'est l'attente.
Parmi ses compagnons d’infortune, un homme qui a fui le Sénégal : « Moi, je n’ai pas quitté mon pays pour rien. En Casamance, il y avait la guerre, la rébellion. Ils ont tué mes parents devant mes yeux. Mes quatre frères sont restés. Dans ma famille, nous sommes six personnes et je suis le seul qui s’en soit sorti et je ne peux pas vivre seul dans mon pays ».
A bord, la situation est précaire. Le Sarost 5 n’est pas conçu pour transporter tant de passagers, les rescapés vivent sur le pont. Il fait trente degrés, les vivres se font rares - même si le Croissant Rouge tunisien assure pouvoir ravitailler le Sarost 5 en vivres -, et plusieurs d’entre eux souffrent de la gale. Avec ces témoignages vidéo, l'ONG Watch the Med veut dénoncer une situation « scandaleuse », et réclame un déblocage.
Ce désarroi affecte les marins qui côtoient les migrants au quotidien, même si la cohabitation est relativement sereine. Selon un responsable d’ONG, face au silence du gouvernement tunisien, l’équipage a le sentiment d’être puni pour avoir sauvé ces migrants. Le capitaine du Sarost 5 envisage même la possibilité de refuser de la nourriture afin de faire pression sur les autorités.
■ Vu de Tunis
En Tunisie, cette histoire ne fait vraiment parler d'elle et a été très peu médiatisée. De la méconnaissance, plutôt que de l'indifférence : lorsqu'on interroge les passants dans la médina de Tunis, aucun n'a entendu parler du Sarost 5.
C'est ce qu'explique en tout cas Wassila, 52 ans, assise devant sa bijouterie, un journal à la main. « Il n'y a aucune information sur ce bateau, regardez. Venez, voilà le journal, il n'y a rien ! Ni à la télévision, ni dans le journal ! »
Entre la crise qui secoue le gouvernement et les difficultés économiques, les Tunisiens ont peut-être d'autres priorités. Pourtant, quand on explique la situation du navire, le débat intéresse.
Pour Mohamed, 35 ans, c'est à l'Europe de prendre ses responsabilités. « Ils ont beaucoup plus de moyens. Je pense qu'il faut que les Italiens, ou les Maltais, les acceptent ! »
Wajdi, la trentaine, comprend lui aussi la réticence des autorités tunisiennes à laisser accoster le Sarost 5. « Il vaut mieux que les pays européens les acceptent. Les gouvernements, généralement, n'ont pas de sentiments. Ils ont des choix au niveau de la politique, c'est ça. »
Finalement, les Tunisiens, tout comme leurs dirigeants, hésitent. Entre la stratégie politique d'un côté, les considérations humanitaires de l'autre.