Rfi : Herman Cohen, comment réagissez-vous à la démission de Robert Mugabe ?
Herman Cohen : Mieux vaut tard que jamais. Il est resté beaucoup trop longtemps [au pouvoir]. Il a commencé à faire de la mauvaise politique en 1999, déjà. Il a tout fait pour détruire l’économie du Zimbabwe. Il a fait partir 2 millions de gens éduqués en Afrique du Sud. Donc il est très important qu’il parte.
N’a-t-il pas été un combattant de la liberté ?
Oui, tout à fait. Il a été un combattant de la liberté. Après cela il a été un très bon président jusqu’en 1999. Et après, il a tout détruit.
Cette période où il aide le Zimbabwe à accéder à l’indépendance – vous vous en souvenez – les Etats-Unis ont-ils joué un rôle peut-être contre lui, parce qu’il était soutenu par les Chinois et les Soviétiques, non ?
Non, le gouvernement américain n’a pas joué contre lui. Au contraire. Henry Kissinger – secrétaire d’Etat de Nixon et Ford – a fait beaucoup de pression sur le président de l’Afrique du Sud. C’est Kissinger qui a dit au président Vorster [président de l'Afrique du Sud en 1978-1979]: si vous ne voulez pas avoir beaucoup de difficultés aux Etats-Unis – vous-mêmes, avec votre apartheid –, il faut cesser votre soutien à Ian Smith [Premier ministre de la Rhodésie de 1964 à 1979]. Et c’est ce qu’il a fait. Donc j’attribue beaucoup de mérite au secrétaire Kissinger.
Donc Kissinger a convaincu Forster de lâcher Ian Smith ?
Tout à fait.
Pourtant, Robert Mugabe était soutenu par Pékin et Moscou !
Non. Quand il était président, il était un homme indépendant. Il n’appartenait pas au bloc soviétique dans la Guerre froide. Il était complètement non-aligné.
Lors de la première guerre d’Irak, en 1991 ?
C’est cela. Il a voté avec nous.
Et puis, arrive donc 1999.
Comme il était marxiste-léniniste, il ne voulait pas de secteur privé. Le secteur privé c’était surtout des agriculteurs blancs. Et il y avait des investisseurs qui voulaient venir établir des usines de production. Mais il a refusé, il les a découragés. Quand tous ces jeunes sont sortis de l’école, il n’y avait pas de travail. Il a commencé alors à perdre la popularité. Il ne comprenait pas pourquoi et il a décidé de faire un référendum en 1999. Il a perdu. Les gens ont voté contre lui. A partir de ce moment-là il est devenu fou.
Et à ce moment-là, les Etats-Unis ont-ils soutenu l’opposition et le MDC de Morgan Tsvangirai ?
Oui. D’abord ils ont commencé à faire des sanctions contre Mugabe, parce qu’il a pris les fermes des agriculteurs d’origine anglaise comme compensation. Et les Etats-Unis étaient avec les Anglais pour faire des sanctions contre Mugabe. A partir de ce moment les relations entre Mugabe et Washington étaient très mauvaises.
Donc pour vous c’était un marxiste-léniniste dogmatique ?
Tout à fait, dogmatique. J’ai écrit un livre sur les chefs d’Etat africains que j’ai connus. J’ai dit : c’est le dernier marxiste-léniniste qui soit encore au pouvoir dans le monde. Et pour lui le marxisme-léninisme, le parti au pouvoir – c’est-à-dire le parti communiste, le parti marxiste – doit rester au pouvoir. Tant que ce parti est élu, tant mieux, mais ce n’est pas admissible [quand] le parti perd une élection. Donc il a dirigé le pays comme ça.
Que pensez-vous du nouvel homme fort Emmerson Mnangagwa ?
D’abord il est vieux et malade. Donc il sait lui-même qu’il doit faire une transition. A mon avis, il va prendre la bonne décision. Il va faire une transition avec l’opposition vers un système démocratique et capitaliste.
Vous pensez qu’il est moins dogmatique que Robert Mugabe ?
Oui, tout à fait. Comme il est malade, il cherche pas lui-même à être au pouvoir très longtemps.