A Sidi Bouzid, surnommée « l'étincelle » après le déclenchement de la révolte, le désespoir et le manque de perspectives demeurent aujourd'hui. C'est le cas en particulier pour les jeunes dont la moitié des diplômés est au chômage. A part une laiterie qui emploie 300 personnes, rien n'a changé à entendre Heni Touhemi. Le dépit domine chez ce responsable local de l'UGTT, la centrale syndicale en pointe de la contestation à l'époque : « La révolution n'a rien changé pour nous [dans les domaines économique et sociale]. Nous sommes dans la même situation qu'avant 2011. Tout ce qui a changé, c'est que nous avons davantage de chômeurs et davantage d'extrémisme », lâche ce responsable en pointant les « promesses vides » des hommes politiques qui viennent visiter la ville seulement avant chaque scrutin électoral.
La menace jihadiste s'ajoute à la misère sociale
Sidi Bouzid, bourgade de 40 000 habitants perdue dans les steppes arides de l'ouest tunisien est loin de Tunis. Très tôt après la révolution, les jihadistes ont fait de sa région occidentale un repère, laissant une triste perspective à la jeunesse déshéritée de Sidi Bouzid et de Kasserine, une autre bourgade plus à l'ouest. La présence des groupes jihadistes dans les Monts Chaambî, près de la frontière algérienne, attire une partie de cette jeunesse.
Le jihadisme est l'un des plus gros défis des autorités tunisiennes. Cette année 2015 a vu trois gros attentats revendiqués par l'organisation Etat islamique. Mais selon l'universitaire Heykel Benmahfoudh, spécialiste des questions de sécurité, il faudra bien plus que les récents limogeages au sein du ministère de l'Intérieur pour répondre à la menace. Il faut « définir le mandat des forces de sécurité , adopter une nouvelle loi-cadre pour le renseignement et [créer] de nouvelles institutions, de nouveaux mécanismes et de nouvelles procédures », souligne Heykel Benmahfoudh.
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La refondation de l'appareil sécuritaire est loin d'être la seule réforme à mener en Tunisie. Il y a évidemment les réformes pour relancer les investissements et le tourisme, lourdement affectés par les récents attentats. Ces programmes sont longs à venir: en cause, le caractère chaotique de la transition qui a vu les débats sur la Constitution durer des mois et les djihadistes assassiner deux figures politiques de la gauche tunisienne, l'avocat Chokri Belaïd et le député Mohamed Brahmi, provoquant la démission du gouvernement dominé par le parti islamiste Ennahda.
Pour l'homme d'affaires et député (indépendant) Mohamed Frikha, la Tunisie a besoin de ses partenaires occidentaux pour lancer les chantiers en suspens. D'après lui, «25 milliards de dollars avaient été promis à la Tunisie après la Révolution» mais on en est loin. Or, soutient-il encore, « grâce à l'image d'un pays démocratique et en faisant de la Tunisie un modèle, on peut aider le monde, mais il faut nous soutenir », souligne Mohamed Frikha.
Recul sur les libertés individuelles
Mais tout en étant le modèle démocratique tant vanté avec le dernier prix Nobel de la paix décerné au quartet qui a sauvé la transition en 2013, la Tunisie est hantée par ses vieux démons. Les violations des droits de l'homme qui avaient cours sous Ben Ali semblent perdurer. Alors que la Constitution votée en 2014 garantit la « liberté de conscience », le « droit à la vie privée » et «à la non-discrimination», plusieurs jeunes gens viennent d'être condamnés pour avoir entretenu des relations homosexuelles.