Johannesburg, Londres: comment les autres gèrent-ils leurs «banlieues»

Il y a dix ans jour pour jour, Zyed et Bouna, deux adolescents de banlieue parisienne, mouraient électrocutés après avoir voulu échapper à un contrôle de police. Devait s’ensuivre une flambée de violence sans précédent, étendue à toute la France et qui allait relancer la question du désenclavement et de la rénovation des « quartiers sensibles », toujours d’actualité de nos jours, sur fond de chômage notamment. En Afrique du Sud, on ne parle pas de banlieues, mais de townships. Au Royaume-Uni, ce sont les inner cities qui souffrent. La situation est-elle si différente ?

• EN AFRIQUE DU SUD, L’HÉRITAGE DE LA SÉGRÉGATION RACIALE

Créés avant même l’apartheid à l’extérieur des grandes villes sud-africaines, les townships servaient à loger ceux qui n’étaient pas « blancs ». Ces derniers allaient ensuite travailler dans les grandes villes. Aujourd’hui, la ségrégation est terminée mais ces quartiers restent très majoritairement noirs et pauvres. Chaque grosse ville à un township, voire même plusieurs. Le plus connu d’entre eux : Soweto, à 30 kilomètres à l’extérieur de Johannesburg.

Soweto, c’est à peu près la taille de Paris intramuros, avec une population estimée à environ 1,5 million d’habitants. On y trouve à la fois de petites maisons, construites sous l’apartheid, et des shacks, comme on les appelle, à savoir des maisons en tôle occupées par les plus pauvres. De nos jours, la problématique est la même que pour les banlieues françaises : une population très dense, très jeune, parquée à plusieurs dizaines de kilomètres des centres-villes et donc isolée des centres d’activité, de l’université, de l’emploi.

Un grand problème : les transports

Soweto est nettement mieux loti que d’autres townships. On y trouve désormais des hôpitaux, une université, un stade de football international, un bassin d’emploi. En revanche, il y a quelques semaines, notre correspondante à Johannesburg, Alexandra Brangeon, a visité Eldorado Park, moins bien loti. Il s’agit d’un quartier d’environ 200 000 personnes. Sous l’apartheid, ce township était réservé aux colored (les métis). Eldorado Park est entouré de terrains vagues et d’une décharge. Et à part ça, vraiment rien : pas de travail, pas d’hôpital, rien pour les jeunes…

L’endroit est totalement isolé. On y retrouve les problématiques des banlieues françaises : chômage, violence, drogue. Le problème principal, c’est l’enclavement. D’un côté : une importante population jeune, qui cherche du travail, mais qui est isolée. De l’autre : des centres comme Johannesburg, où il y a du travail. L’enjeu est de pouvoir se déplacer de l’un à l’autre. Cela coûte cher et cela prend du temps. Entre Eldorado Park et le centre de Johannesburg, il y a 24 kilomètres. Mais cela peut prendre deux heures. Faute de transports publics, il faut utiliser des minibus.

Un objectif : désenclaver les quartiers

A Soweto, on observe une réelle volonté de désenclavement. Depuis 2010, des bus publics partent de différents endroits dans Soweto pour aller dans Johannesburg. Ils utilisent des lignes de bus réservées, point très important car le trafic est énorme. En revanche, ce bus coûte assez cher. Il n’est donc pas accessible aux plus pauvres. A noter aussi le projet qui consiste à étendre le Gautrain, un train à grande vitesse entre Johannesburg et Pretoria, jusqu’à d’un côté Soweto, et de l’autre, Mamelodi, le township de la capitale sud-africaine. Objectif ? Désenclaver ces deux grands pôles, permettre une plus grande mobilité et donc un accès plus rapide aux zones de l’emploi.

Un phénomène a été très visible ces derniers mois en Afrique du Sud : la xénophobie dans les townships. Car si ces zones urbaines abritent les plus pauvres - les populations qui quittent les zones rurales -, elles accueillent également les migrants venant de pays voisins pour chercher du travail en Afrique du Sud. Or, dans un pays où le chômage est à plus de 25 %, où une partie de la population vit dans des maisons de tôle, sans eau courante, sans électricité, la tension est élevée. Régulièrement, les étrangers sont la cible d’attaques. Certains considèrent en effet qu’ils volent le travail des Sud-Africains.

• AU ROYAUME-UNI, DES « BANLIEUES » AU SEIN MÊME DES VILLES

La notion de « banlieue » existe-t-elle en Grande-Bretagne ? Rencontre-t-on les mêmes problématiques à Londres qu’à Paris concernant l’habitat, le chômage et l’immigration notamment ? Oui et non. A Londres, ce qui correspond le mieux à la notion de banlieue, comme l’explique notre correspondante Muriel Delcroix, ce n’est pas le mot suburb, mais plutôt l’expression inner city, car la situation géographique est différente.

En France, les banlieues sont en effet liées à la construction de grands ensembles à la périphérie des villes dans les années 1970. A Londres, ville très étendue, ce sont au contraire des quartiers anciens, construits à l’époque victorienne et concentrés autour du centre-ville, qui souffrent de déclin et de pauvreté. A l’inverse, la couronne extérieure, qu’on appelle outer city, est censée être plus riche.

2011, le miroir britannique de 2005

Depuis les années 1980, l’inner city évoque une partie de la ville prise dans une spirale de déclin économique. Ces quartiers sont habités majoritairement par des familles issues de l’immigration. Ils sont dominés par des estates, de vastes cités vieillissantes et trop souvent livrées à elles-mêmes, où les taux de chômage et de criminalité sont démesurément élevés. Or, ces quartiers défavorisés sont souvent situés juste à côté de zones très bourgeoises. Et cette proximité attise les tensions, car ce grand déséquilibre social exacerbe le sentiment d’avoir été abandonné par le gouvernement.

Le pays a d’ailleurs connu des émeutes. Les plus graves ont eu lieu à Londres dans le quartier jamaïcain de Brixton, en 1981 et 1985, puis beaucoup plus récemment, durant le mois d’août 2011, à Tottenham, un quartier du nord-est de la capitale britannique. Les émeutes de 2011 ont éclaté après la mort d’un jeune membre d’un gang tué par des policiers lors d’une course-poursuite. Les hommages ont très vite dégénéré en émeutes puis en pillages. Ces violences se sont étendues au quartier voisin d’Hackney, mais aussi à Brixton et Croydon, au sud de la Tamise. Puis d’autres grandes villes ont été touchées, comme Manchester et Birmingham. Le même schéma qu'en France en 2005.

Réponse simple : la répression

En 2011 au Royaume-Uni, la situation a laissé les forces de police complètement impuissantes pendant plusieurs jours. Comme dans les années 1980 à Brixton, ce sont d’ailleurs les méthodes de la police, et notamment les arrestations et fouilles abusives de jeunes hommes noirs, qui ont été pointées du doigt. En France en 2005 et au Royaume-Uni en 2011, l’étincelle est ainsi venue d’un affrontement avec la police. Mais les soulèvements de l’été 2011 ont été inédits, avec des mises à sac et des vols systématiques de vêtements de sport et de marque, ainsi que du matériel électronique.

Il n’y avait aucune revendication politique. Si certains ont agi avec un sentiment d’injustice sociale, beaucoup de pilleurs ont juste suivi le mouvement pour « se servir » face à des autorités totalement débordées. La violence des émeutes en 2011 a été inouïe : en l’espace de cinq jours, 66 quartiers - principalement à Londres - ont été saccagés par quelque 15 000 personnes. Il y a eu cinq morts et des centaines de magasins pillés. Le gouvernement du Premier ministre conservateur David Cameron a répliqué par des mesures extrêmement répressives. Des gens ont ainsi fait six mois de prison pour avoir volé une bouteille d’eau.

Situation toujours tendue de nos jours

Au total, la majorité des 2 400 personnes jugées ont écopé de peines de prison quatre fois plus sévères qu’en temps normal. La justice a donc voulu faire des exemples. Mais si les pillages ont été largement condamnés par les Britanniques, les forces de l’ordre et le gouvernement n’ont pas été épargnés : la police s’est vu reprocher son inertie dans les premières heures, mais aussi ses méthodes agressives. Cela a d’ailleurs conduit à réduire drastiquement l’usage des fouilles dans la rue, vécues comme des contrôles au faciès. Les stop and search ont ainsi diminué de 75 % depuis janvier 2012.

Quant au gouvernement, sa réponse a été jugée simpliste : David Cameron a voulu voir dans les émeutes les agissements de voyous en marge de la société, quand nombre de Britanniques ont critiqué une fracture avant tout économique, avec un ressentiment exacerbé par un écart de plus en plus grand entre les très riches et les très pauvres. Au sein d’une société consumériste, ce débat n’a pas vraiment eu lieu et beaucoup sont persuadés que la situation reste explosive à l'heure actuelle.

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