Hissène Habré porté par des éléments cagoulés de la force pénitentiaire qui se débat. Ses partisans qui se lèvent et qui crient en tentant de passer les cordons de sécurité. Voilà comment le prévenu a fait son entrée dans le tribunal, comme lors des premiers jours de son procès les 20 et 21 juillet dernier. Hissène Habré ne reconnaît pas cette cour et se permet donc de répondre au président qui lui rappelle que c’est la chambre qui a ordonné qu’il soit emmené de force. « Vous êtes hors la loi », rétorque le prévenu. Le juge ne se démonte pas : « Soit, mais vous connaissez bien cet adage : "Force reste à la loi". »
Durant deux heures trois gardes bloquent Hissène Habré sur sa chaise. La lecture de l’ordonnance commence. Crimes, tortures, exécutions… Le ton est enfin donné. En fin de matinée, c’est le poing levé, applaudi par ses soutiens qu’il quitte la salle d’audience pour revenir une heure plus tard avec une attitude radicalement différente. Il vient seul à sa chaise, ne réagit pas quand la cour s’installe. Caché derrière son grand turban blanc et ses lunettes de soleil, Hissène Habré ne laisse apparaître que ses mains. Loin d’être résigné, il met en place sa nouvelle stratégie : celle du silence.
Les avocats commis d'office ignorés de l'accusé
Si ses avocats officiels ne se sont pas présentés, ceux commis d’office par la cour en juillet dernier étaient bien là. Mais Hissène Habré n’a pas eu un mot ni un regard pour les trois avocats assis à sa gauche. L’ancien président tchadien refuse cette défense imposée par la cour.
Mais comme l’explique Maître Mounir Ballal, cette équipe d’avocats expérimentés compte bien jouer sa partition. « M. Hissène Habré nous ne le considérons pas nous-mêmes comme étant notre client et nous entendons donc mener la mission qui nous a été confiée par la Chambre africaine extraordinaire à son terme, c’est-à-dire aller jusqu’au bout du procès », assure-t-il.
Durant cette première journée, les avocats commis d’office n’ont pas pris la parole, mais ils considèrent que l’utilisation de la force pour obliger le prévenu à comparaître n’est pas saine. « Il est très difficile pour un avocat qui assure la défense d’un accusé en matière criminelle de voir que celui-ci doit faire l’objet d’une ordonnance particulière de la cour pour le contraindre à comparaître », souligne Me Ballal.
L’avocat qui n’a jamais connu pareille situation en 33 ans de pratique se veut optimiste et espère établir avec le temps une relation de confiance avec Hissène Habré.
« La justice est en marche »
« Hissène Habré était le souverain absolu au Tchad, jetant les gens en prison, les torturant à sa guise et maintenant il agit comme un enfant capricieux qui refuse de prendre son médicament. Il a seulement peur de nous et peur de la vérité », réagit une victime du système Habré, torturée quinze mois durant dans les geôles du régime.
Pour les victimes, l’important c’est que le procès ait enfin commencé. PourJacqueline Moudeïna, présidente du collectif des avocats des victimes du régime de Hissène Habré, « ce qui s’est passé aujourd’hui à Dakar est d’une importance considérable. La lecture de l’acte d’accusation d’Hissène Habré pour crimes de guerre, crimes de torture et crimes contre l’humanité a été lu. L’accusé, Hissène Habré, était présent. Il a tout entendu. L’horreur des crimes décrits, les détails donnés sur le système de la répression contrastent considérablement avec la lâcheté de Habré qui se prend pour une victime. Sa passivité derrière son turban et ses lunettes noires, voire ses injures à l’encontre de la Cour, ne suffiront pas à l’absoudre », promet-elle.
Un moment particulièrement fort pour les victimes, rappelle-elle : « Pour les victimes présentes aujourd’hui dans la salle d’audience, pour les milliers de victimes qui ne sont pas ici aujourd’hui, mais attendaient ce moment depuis des années, pour toutes celles, hélas, qui n’ont pas survécu jusqu’à ce jour, cette heure est solennelle, souligne-t-elle. La lecture de l’ordonnance de mise en accusation, l’acte d’accusation, c’est le cœur du procès. C’est ici et maintenant que tout commence. Le procès d’Hissène Habré a commencé. Plus rien ne peut arrêter la marche de la justice. »