Avignon: rencontre théâtrale avec des sans-papiers africains

À ceux qui veulent entendre comment vivent les immigrés… En cette fin du festival d’Avignon 2015, les spectateurs vivent jusqu'au 25 juillet une expérience hors du commun avec les trois représentations de « 81, avenue Victor Hugo ». Pour cette « pièce d’actualité », créée en mai au théâtre de la Commune à Aubervilliers, le metteur en scène Olivier Coulon-Jablonka et ses co-auteurs Barbara Métais-Chastanier et Camille Plagnet sont allés à la rencontre d’un collectif de quatre-vingts sans-papiers venus principalement de Côte d’Ivoire, d’Afrique du Nord et du Bangladesh.

Après avoir été expulsés de plusieurs lieux à Paris, entre autres, les 80 sans papiers ont réquisitionné un ancien Pôle Emploi au 81, avenue Victor Hugo à Aubervilliers. À partir de leurs témoignages est né un spectacle de cinquante minutes que huit d’entre eux portent sur la scène avec détermination et douceur, sans pathos, dans un décor qui évoque leur lieu actuel d’habitation.

Dans quelle mesure s’agit-il encore de théâtre ? Quelle est la place de cette pièce au Festival d’Avignon ? Nous ne sommes pas que face à des témoignages bruts, et nous sommes loin des discours politiques et administratifs sur le sujet, réfrigérants et déshumanisants. Ici, « ceux qu’on voit à la télé sont devant nous » dit Thomas, 22 ans.

La frontière entre le théâtre et le réel est floutée

Pour ouvrir le spectacle, l’un des huit comédiens amateurs raconte l’histoire de l’homme de la campagne face à la porte interdite de la loi, extraite du Procès de Kafka. Plus tard, lorsqu’ils racontent la traversée clandestine de la Méditerranée, les huit se réunissent et tanguent ensemble en imitant le bruit des mouettes et du vent, de manière à nous transporter dans le souvenir de cette entreprise risquée. Enfin, le spectacle se clôt sur un ton revendicatif sans détour : « Ouvrez la frontière, Open the door » scandent-ils en refrain, alignés face au public. De quoi se sentir concernés.

À la sortie de la salle, Martine réagit : «  Ce moment final m’a ému plus que les histoires personnelles. Chacun a son histoire. Moi aussi, j’ai mon histoire. Mais avec cette légère mise en musique, le témoignage accède au spectacle. » À côté d’elle, Laurent est plus pessimiste : « Je me sens bousculé, le fait d’exposer la douleur des autres a quelque chose de dérangeant. Tout le monde applaudit alors qu’après, chacun va repartir dans son coin… » Pour Bruno, l’enjeu est fort et le geste efficace : « Je trouve ce spectacle pertinent dans son désir humaniste. Il donne une place centrale à des gens qui n’en ont aucune. »

Avignon : une chance inattendue pour faire entendre la voix des sans-papiers

À la création, il y moins de trois mois, ils ne pouvaient pas avoir de contrats du fait de leur situation illégale, et ont donc été rémunérés par la libre contribution du public. Mais depuis, grâce au théâtre, ces huit immigrés ont obtenu des papiers. Ils restent cependant vigilants. « C’est une grande fierté d’être à Avignon, déclare Moustapha Cissé après être sorti de la scène. L’important, pour nous, est de livrer notre message. Nous continuons à jouer pour apporter notre solidarité à tous les sans-papiers. » Barbara Métais-Chastanier revient sur les conditions incertaines du projet : « C’est un travail qui est toujours en processus. Depuis le début, nous marchons sur des œufs. Trois jours avant la première à Avignon, nous n’étions pas sûrs de pouvoir y aller. Mais le festival nous offre une perspective artistique et politique forte, et nous permet de maintenir la pression. »

Marie-José Malis, qui dirige le théâtre de la Commune depuis un an et qui a initié le concept de « pièce d’actualité », dit qu’elle faisait partie des sceptiques, mais que c’est peut-être l’expérience la plus bouleversante de sa carrière : « Ce qui m’a le plus surprise, c’est qu’ils avaient plus confiance que nous dans le projet. Même les gens de théâtre sont rares à posséder cette croyance : que quand on peut parler au public, quelque chose peut se transformer. » Elle rappelle qu’Avignon reste un lieu de recherche, de questionnements et qu’en ce sens, la pièce y trouve parfaitement sa place, car « elle dit quelque chose sur le théâtre. Il ne s’agit pas uniquement de politique. Le théâtre a provoqué un retournement objectif : il retrouve ici sa capacité à transformer la vie. »

81, avenue Victor Hugo, avec Adama Bamba, Moustapha Cissé, Ibrahim Diallo, Mamadou Diomandé, Inza Koné, Souleyman S., Méité Soualiho, Mohammed Zia. Jusqu’au 25 juillet au festival d’Avignon ; reprise à la rentrée, du 1er au 8 octobre, au théâtre de la Commune (Aubervilliers).

 
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