Sénégal: réactions tranchées à la condamnation de Karim Wade

Jugement indépendant pour les uns, procès politique pour les autres ; au Sénégal, la condamnation de Karim Wade divise le pays.

La Cour de Répression de l'enrichissement illicite (CREI) a reconnu Karim Wade coupable d'« enrichissement illicite » et l'a condamné à six ans de prison ferme et à une amende de 138 milliards de francs CFA (environ 209 millions d'euros), alors qu'il vient juste d'être désigné par son parti, le Parti démocratique sénégalais (PDS), candidat pour la prochaine élection présidentielle de 2019. 

Les partisans et proches du PDS et de la famille Wade crient au procès politique. Serigne MBaké NDiaye, ancien porte-parole d’Abdoulaye Wade, le père de Karim Wade, est formel : pour lui, les juges n’avaient pas de preuves concrètes. « [L’enrichissement illicite] n’a jamais été prouvé et ça pose beaucoup de problèmes. Nulle part, le nom de Karim Wade n’a été mentionné. Ca veut dire que si Karim Wade est condamné, il y a toute une chaîne qui doit être condamnée en même temps : ce sont les notaires, ce sont les fonctionnaires de l’Etat du Sénégal qui ont permis que toutes ces affaires-là se passent. Donc, on ne peut pas, sur la base de présomptions, condamner quelqu’un », argue-t-il.

« Il n’y a pas de preuves »

Cet ami des Wade ajoute : « Personnellement, je n’ai pas été surpris parce que, depuis le début du procès, les droits de Karim Wade ont été régulièrement violés. Je constate tout simplement, et je l’ai toujours dit, que ce sont des adversaires politiques tapis dans l’ombre qui sont derrière tout ça, et qui sont en train de tirer les ficelles ». Dans le même temps, il demande au président Macky Sall de prendre des dispositions pour gracier ceux qui sont condamnés ; en dehors de Karim Wade, Bibo Bourgi, accusé d'être un prête-nom de l'ancien ministre, Alioune Samba Diassé et Mamadou Pouye, qui écopent eux aussi de lourdes peines, cinq ans de prison et de fortes amendes.

Même réaction indignée des avocats de Karim Wade. Maître Madické Niang, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre de la Justice n'en démord pas : « Pour nous, cette affaire ne peut avoir que des relents politiques parce que la CREI n’est pas une juridiction qui prend en compte certaines normes. Il n’y a pas de preuves. On s’appuie sur des témoignages alors que ces témoignages ont été contredits par d’autres. Pour moi, la décision n’a pas de base légale, la décision n’est pas fondée. J’ai ressenti ça comme une honte. Pour moi, cette décision représente un déshonneur pour la justice sénégalaise ».

« L’agenda politique n’a rien à voir avec l’agenda judiciaire »

Mais selon le ministre de la Justice sénégalais en place, Sidiki Kaba, la décision a été rendue en toute indépendance. « Vous avez entendu dire que tout a été fait, tout a été décidé pour lui ôter tous ses droits - civiques, civils et familiaux. Ce ne fut pas le cas. Le juge, en toute indépendance, a estimé qu’il n’y a pas corruption. Le parquet avait poursuivi dans ce sens. Si le projet politique existait pour précisément couler un adversaire politique, il va de soi que le résultat n’est pas atteint. Je ne pense pas que cette accusation puisse prospérer : l’agenda politique n’a rien à voir avec l’agenda judiciaire », a déclaré le plus haut magistrat du Sénégal.

Pour l'avocat de l'Etat du Sénégal, partie civile, Aly Fall, qui s'est battu pour que la reddition des comptes soit une réalité, la décision rendue par la cour est juste, elle a une portée « historique », et, il l'espère, aura une portée pédagogique. Ce qu'il ressent ? « Du soulagement, car le procès a été long [il a duré sept mois, NDLR] pour nous tous. De la fierté et de la satisfaction parce, que tout simplement, pour notre pays, je pense que c’est un grand moment ».

Aly Fall balaie les accusations de procès politique s'en référant aux conclusions de la CREI : « Ceux qui disent que c’est une condamnation politique ont politisé ce procès. La réponse que la cour a apporté avec un arrêt aussi structuré et aussi bien motivé lève le doute sur toutes les spéculations politiques concernant ce dossier », estime-t-il.

Faute de pouvoir faire appel du jugement, les avocats de la défense ont annoncé qu'ils allaient se pourvoir en cassation devant la cour suprême.

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