De notre envoyé spécial,
Nous sommes à deux pas de la mairie. A quatre pattes ou couchés sur des tapis, des enfants dessinent, sous une tente bleu océan dressée par l'Unicef à l’ombre d’un acacia. Le tout sous le regard attentif des psychologues de l’ONG italienne Coopi. « Là, un enfant a dessiné un corps sans tête. Plus haut sur le dessin, c’est quelqu’un qui tire sur quelqu’un d’autre. Ils ont dessiné des cadavres dans l’eau aussi, des maisons en feu, de nombreuses têtes coupées, et sur cet autre dessin on a des femmes qui appellent au secours et qui pleurent », expliquent pêle-mêle les psychologues Nana, Taïbou et Mahamane.
Comme s’ils avaient collectivement décidé d’une charte graphique, la mort est souvent désignée d’un même rond rouge, sur les bonshommes de ces dessins à vocation thérapeutique. « Ces dessins sont interprétés. Si on n’intervient pas, les enfants vont garder avec eux ces traumatismes. Donc, à travers ces dessins, nous distinguons des cas qui ont des besoins spécifiques, ce qui nous permet de mieux venir en aide aux enfants », explique le psychologue Mahamane Laouali. La plupart des jeunes sont au camp avec leurs parents. Fait rassurant : ils se chamaillent encore comme des enfants pour montrer aux adultes leurs dessins.
Le cas d’Ousmane, 14 ans, est néanmoins jugé préoccupant. Il a passé 23 jours entre les mains de Boko Haram avec d’autres adolescents dans une mosquée, pour être endoctriné. Lorsqu’il s’est évadé, il a vu dans la rue de nombreux cadavres enflés. « Vu son âge », explique Jibril Abdou, de l’ONG Coopi, « Ousmane parle sans état d’âme de sa découverte des cadavres, ça veut dire que cet enfant est déjà adulte dans la tête. Il minimise une telle vue. C’est inquiétant parce qu’à son âge, il n’aurait pas dû être exposé à de telles horreurs. Surtout, il n’aurait pas dû se familiariser avec ces horreurs à ce point. »