Avec notre envoyé spécial à Am Djares, Olivier Fourt
Une piste d'aviation au milieu de nulle part, le Falcon ministériel atterrit là où encore aucun avion français ne s'était jamais posé : Am Djares, dans l'est du Tchad, non loin du Soudan, région d'élevage, ville de garnison et et fief du président tchadien Idriss Déby. Le Tchad est un partenaire militaire de premier rang pour la France au Sahel.
Jean-Yves Le Drian est reçu au palais présidentiel. Une grosse heure d'entretien, et toujours le même sujet de préoccupation : « Nous avons évoqué avec le président Déby la situation en Libye qui nous préoccupe beaucoup l'un et l'autre, et nous avons évoqué ensemble les initiatives qu'il est souhaitable de prendre pour enrayer ce processus. Le Tchad est préoccupé, l'Egypte, l'Algérie, le Niger, tous les pays riverains sont préoccupés. »
Echange de cadeaux, tribus guerrières, Jean-Yves Le Drian reçoit l'épée traditionnelle des Agawas avant d'aller passer le réveillon avec les soldats français de l'opération Barkhane, à Njamena.
« Une erreur profonde » de rester passif
Ensuite, c'est auprès de ces militaires que le ministre de la Défense a appelé la communauté internationale à se « mobiliser » pour empêcher le développement d'un « sanctuaire » jihadiste en Libye qui déstabiliserait toute la région et menacerait l'Europe. « Ce qui se passe en Libye, c'est ni plus ni moins, sur fond de chaos politique et sécuritaire, que la résurgence d'un sanctuaire terroriste dans l'environnement immédiat du continent européen », a-t-il déclaré, poursuivant : « Ce serait une erreur profonde pour la communauté internationale de rester passive face au développement d'un tel foyer de terrorisme au coeur de la Méditerranée. Il ne faut pas l'accepter. »
« Mais c'est la responsabilité des voisins de la Libye et de la communauté internationale que de se tenir à leurs côtés pour retrouver les chemins de la stabilité. La France y prendra évidemment toute sa part », a souligné le ministre, laissant la porte ouverte à tous les scénarios alors que plusieurs pays de la région, dont le Tchad, appellent à une intervention militaire internationale sans délai en Libye pour stopper toute contagion vers le sud.
Depuis des mois, Paris et ses alliés sahéliens considèrent l'extrême-sud de la Libye comme une zone de refuge, de transit et de projection pour les jihadistes pourchassés au Mali par les forces de l'opération Barkhane. Ce serait notamment le cas des groupes Al-Morabitoune de Mokhtar Belmokhtar mais aussi des restes d'Ansar Dine de Iyadh Ag Ghali.
En Libye, le groupe EI face à al-Qaïda
Mais les informations sur ce désert libyen sont extrêmement parcellaires. Les connaissances sont en revanche plus précises sur le nord-est de Libye. Dans la ville de Derna, en novembre, la milice connue sous le nom de Majlis Shura Shabab al-Islam, en partie composée de combattants revenus de Syrie, est devenue la branche officielle du groupe Etat islamique en Libye.
Le groupe EI a aussi revendiqué son premier attentat à la voiture piégée à Tripoli le 27 décembre et dit compter des combattants sur l'ensemble du territoire. Mais il reste contesté dans son fief de Derna par la brigade des martyrs d'Abou Salim, plus proche d'al-Qaïda et issue de l'ancienne génération du jihad libyen, celle des vétérans de l'Afghanistan.
En Libye, le groupe EI combat à Benghazi les forces du général Haftar aux côtés de la brigade Ansar al-Charia. Ces groupes ont déjà envoyé des milliers de combattants étrangers en Syrie et en Irak. En 2015, Paris et ses alliés craignent que l'organisation Etat islamique n'utilise cette base libyenne pour s'étendre au Sahel. La France, elle, dispose de 3 000 hommes sur la zone sahélo-saharienne, dans le cadre de l'opération Barkhane.