Dix ans de crise ivoirienne: la fin des auditions de la réconciliation

Les audiences publiques de victimes et bourreaux d'une décennie de crise en Côte d'Ivoire, qui avaient débuté il y a trois semaines à Abidjan, ont pris fin mardi sur quelques derniers témoignages. Les membres de la Commission espèrent que ces récits auront une vertu de catharsis pour que les haines du passé s'apaisent.

Pendant trois semaines, la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) a dû écouter quelques-uns des témoignages, plus atroces les uns que les autres, comme celui d'un homme forcé à manger sa propre oreille que des mercenaires lui avaient tranché, ou encore ceux d'une mère violée devant ses enfants, ses frères et ses sœurs.

Ces trois semaines d'auditions représentent dix années de chronique meurtrière racontée par l’ensemble des protagonistes, quel que soit leur camp. Abdelramane, 21 ans, sort de l’audience en claudiquant, la jambe gauche complètement désarticulée. Déjà orphelin, il y a quatre ans à Duékoué, il a perdu ce qui lui restait de famille. Son témoignage :

« Les gens sont arrivés chez nous. Ils ont demandé après mon tuteur. Donc, ils se sont mis à fouiller la maison. Lorsqu’ils l’ont découvert, ils lui ont tiré dans la jambe. Ils l’ont mis directement dans le puits de la cour. Ils ont pris des pleins de briques pour lui jeter dessus. Moi, je me suis enfui et c’est comme ça que j’ai reçu une balle au genou. »

Abdelaramane voulait être juriste. Désormais, il mendie dans les rues de Port-Bouët. Et pourtant, depuis cette catharsis, il semble avoir évacué tout ressentiment à l’égard de ses tortionnaires. « Je devais le faire pour me libérer de ce que j’ai dans le cœur, et aussi exprimer mon mal avec les autres. Dire mon mal avec les autres, c’est une manière de dire aux parents et aux frères et sœurs que la crise n’est pas bonne. »

Vers la construction d'une nation plus forte

L'ex-Premier ministre Charles Konan Banny, le président de la CDVR, veut croire en l'avenir du pays. Il a l'espoir que les choses évoluent. « Il n’y a pas de doute : cette émotion, nous l’avons ressentie au cours de ces audiences. Ce que nous recherchons, ce n’est pas seulement l’émotion. L’émotion est fugitive. Au-delà de l’émotion, nous souhaitons que des nouveaux comportements naissent, pour parfaire la construction de la nation dans laquelle la violence sera absente. »

Le président de la CDVR admet néanmoins la difficulté d'écouter de tels récits lors de l'audience. « Ici, nous avons vu la violence dans ce qu’elle peut faire d’horrible ! C’est pour ça que dès le départ, j’ai dit qu'au musée national des horreurs, il y a des choses inimaginables qui se sont produites. C’est un petit échantillon que nous avons vu. Cela aussi a suscité énormément d’émotion. Et je ne connais pas un seul individu, qu’il soit Ivoirien ou pas, qui ait assisté à ces audiences et qui n’ait ressenti cela profondément. »

La Commission a auditionné 63 000 Ivoiriens victimes ou bourreaux de ces dix années noires. Au total, 80 personnes ont pu témoigner devant la CDVR à titre d’exemple. A présent, il revient à l'Etat de panser les plaies, d’indemniser, de réparer ce qui a été fait. Pour toucher le plus grand nombre, ces témoignages filmés devaient initialement être diffusés à la RTI, la télévision nationale. Ce qui n'est toujours pas le cas.

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