RFI : La Côte d’Ivoire n’est pas le seul pays africain à avoir ainsi recours au marché des capitaux. Pourquoi recourir au marché privé ?
Nialé Kaba : Il faut dire que la Côte d’Ivoire sort d’une longue période de crise, mais la Côte d’Ivoire a une économie qui a beaucoup évolué. La Banque mondiale au mois de mai dernier, dans son classement, a considéré que nous n’étions plus dans la catégorie des pays fragiles, mais également que nous n’étions plus dans la catégorie des pays à faibles revenus. C’est donc reconnaître notre capacité à aller nous confronter aux marchés, pour faire le bouclage du budget. Nous le faisons sur le marché sous-régional de l’UEMOA, et là, nous sommes allés à la rencontre du marché international.
N’y a-t-il pas un risque à s’endetter aussi massivement ? N'est-ce pas hypothéquer l’avenir du pays ?
L’investisseur qui prête à la Côte d’Ivoire est très soucieux d’être remboursé à terme. La Côte d’Ivoire a un taux d’endettement de l’ordre de 43 %. C’est vraiment un taux respectable. C’est un taux qui est très bon. C’est l’un des plus faibles de l’Afrique de l’Ouest.
À quoi vont servir ces fonds levés ?
On va pouvoir financer des secteurs aussi importants sur le Budget 2014 que l’agriculture, l’énergie, les infrastructures routières, notamment. Et il y a une partie qui ira sur les programmes d’éducation et de santé.
Pour 2014, la prévision de croissance devrait avoisiner les 10 %, et pourtant, beaucoup d’Ivoiriens ont du mal à en voir le bénéfice au quotidien. Comment expliquez-vous ce décalage ?
Je ne suis pas de cet avis, que les Ivoiriens ne voient pas le bénéfice. Je dirais même le contraire. Lorsque le président Ouattara est arrivé, tout le monde a vu l’état de la Côte d’Ivoire. Les écoles ne fonctionnaient pas bien, il n’y avait pas de d’hôpitaux en bon état avec des équipements concrets. Je crois que ce sont des boulets que nous transportons. L’école était en déliquescence totale. L’eau potable, l’électricité, beaucoup de défaillances, beaucoup de coupures…
Il faut savoir que, depuis que le président Ouattara est là, le paysan [qui travaille dans le secteur] café-cacao perçoit effectivement 60 % du prix CAF (coût - assurance - fret ; prix du cacao prêt à l’exportation, NDLR). Cela ne lui est jamais arrivé. Ces planteurs-là représentent plus de 70 % de la population active. C’est vrai que l’économie n’a peut-être pas encore trouvé le moyen de créer encore beaucoup plus d’emplois à la mesure des attentes. Je pense que c’est cela que les gens expriment. Les attentes étaient nombreuses, elles ne sont pas toutes comblées, mais je pense que les autorités en ont conscience.
Alassane Ouattara avait promis avant son élection la création d’un million d’emplois à l’échéance de son mandat. On en est loin...
Vous savez, nous sommes une économie à composante informelle très grande. Le secteur informel est un secteur qui est un peu régulateur social. Mais, lorsque vous donnez les possibilités à un jeune de créer sa petite structure pour s’insérer dans la société, il ne va pas s’enregistrer à la sécurité sociale. Vous ne le percevez pas.
Vous évoquiez le chômage des jeunes. On estime qu’en moyenne, sur l’ensemble du continent, 60 % des 15-35 ans sont au chômage. Est-ce la même chose en Côte d’Ivoire ? Les chiffres sont-ils les mêmes ?
J’aurai bien aimé vous répondre. Là, je n’ai pas les chiffres. Je peux néanmoins vous répondre quand même qu’il y a beaucoup d’améliorations en termes d’occupation. C’est les défis qui sont grands. Nous sommes une population à majorité jeune. Il y a plus de 50 % de la population qui est jeune. C’est un grand défi de pouvoir les occuper.
Mais une occupation, c’est un emploi ?
Une occupation peut être un emploi si elle génère suffisamment de ressources pour vous faire vivre au quotidien, et vous faire vivre décemment.
Les inondations du mois dernier ont mis en lumière la précarité de l’habitat dans certains quartiers. À Cocody les habitants ont même été contraints de quitter leur domicile. Là encore, quelle solution peut leur être proposée, maintenant qu’ils n’ont plus de toit ?
Je crois qu’il y a un ministre qui s’en charge. Bien sûr, je sais, pour avoir été ministre du Logement, quelle est l’ampleur du déficit en logements de la Côte d’Ivoire. Mon collègue est en train de faire en sorte que très rapidement ce déficit-là soit comblé et surtout que les maisons soient disponibles et accessibles aux plus faibles.
Est-ce qu’une partie des fonds qui viennent d’être levés vont servir à cela, à améliorer le logement en Côte d’Ivoire ?
Comme je l’ai dit, les ressources vont financer le Budget 2014. Et dans le Budget 2014, il n’est pas prévu de faire de financement direct au logement. Il est prévu bien sûr, d’accompagner la production de logements, puisque l’Etat contribue à purger les droits coutumiers sur les terrains qui doivent accueillir ces logements et ensuite les mettre à la disposition des promoteurs.
Vous êtes la première femme à occuper en Côte d’Ivoire ce poste de ministre de l'Économie et des Finances et pourtant le pays est assez mal classé en terme de parité. Comment est-ce que vous l’expliquez ?
Vous savez que ces choses-là, c’est aussi une question historique. C’est une question psychologique. C’est une éducation à la fois pour les dirigeants, mais également pour la population. Ce n’est pas toujours facile d’être d’un côté comme de l’autre, parce que la femme elle-même doit aussi se mettre dans ce positionnement, se décomplexer et accompagner ce mouvement qui peut être un mouvement de long terme.
L’éducation elle-même n’a pas toujours été en faveur des femmes. Donc, c’est un mouvement pour corriger aussi cela et faire en sorte qu’à terme, lorsqu’on va chercher des femmes pour pouvoir occuper certains postes de responsabilité, nous puissions avoir les compétences. Parce que les parents auront accepté de laisser la jeune fille aller à l’école jusqu’à son terme.