Dans Souls, est-ce que l’âme est plus importante que le corps ?
Je ne crois pas à un corps inanimé pour un danseur. Je pense que la danse est peut-être le mouvement des âmes. Alors cela ne peut pas se faire l’un sans l’autre.
Vous avez écrit de chercher « le ‘danser’ originel ». Sur scène, on croit d’apercevoir le big-bang chorégraphique d’Olivier Dubois.
Non. Cette pièce est nourrie de morts. Elle place au cœur de son enjeu la vie en disant que par la mort j’affirme mon vivant. Je crois que c’est cette chose aussi qui est très associée à la danse, cette danse pour les dieux, cette danse de morts, de souvenirs, de l’oubli, de ce tremblement de corps et ses humeurs. Cette danse qui fait jaillir l’ancestrale, l’instinctif, l’animal, l’autre, l’homme, le vieil homme, l’âme, la vieille âme.
Le sable vierge qui devient champ de création et de bataille. Est-ce que c’est une réponse à votre pièce « Faune(s) » autour de Nijinski ?
Non, c’est une chose qui a beaucoup changé. C’est un texte qui reste, que j’avais écrit il y a très longtemps et que j’avais très envie de transmettre. J’avais la chance de danser L’Après-midi d’un faune. Pour Souls, je suis vraiment allé à cet endroit de la mort, parce que je parle de la vie, mais je parle aussi du déterminisme, du destin, du poids du destin. Il y a six hommes et ce sable, c’est peut-être le septième larron et c’est peut-être le larron du vivant.
Une autre citation énigmatique de vous : « Je ne suis fait que d’une sensation, celle d’un écho africain au cri silencieux de ce faune ».
C’est peut-être une réponse à un questionnement qui m’est extrêmement intime, qui est : pourquoi je danse ? Je ne le sais toujours pas. Un jour, à 23 ans, j’ai décidé de danser. Je n’ai toujours pas de raison claire, précise, organisée. Je ne crois pas à une chose divine, mais cette pièce Souls est une plongée – je l’avoue- un peu plus mystique. Et je cherche le pourquoi de ce tremblement, le pourquoi d’exposer son corps, le pourquoi de ce martèlement, pourquoi je passe ma vie à taper. Quelle faille je cherche à créer ?
Cette pièce a été créée après des résidences au Sénégal et en Égypte, avec une première donnée au Caire le 13 décembre. Est-ce que c’est une pièce africaine ?
Non, en aucun cas. Il y a des danseurs africains, mais ce n’est pas une pièce africaine. C’est une pièce contemporaine comme tout autre que j’ai pu créer. J’avais ce souhait de créer en Afrique, entre autres pour des raisons que je viens d’exposer. J’avais ce souhait de me perdre, d’apprendre à négocier, de trouver le dialogue avec des interprètes qui fonctionnent et voient autrement, mais ils sont tous d’un pays différent.
Six danseurs africains de six pays différents. Est-ce un calcul ou un manifeste ?
Non, ce n’est pas un calcul. Ce sont des artistes qui sont convoqués. Il n’y a pas un soupçon de danse traditionnelle, il n’y a presque pas un soupçon de danse qui leur serait propre. Ce sont des hommes qui dansent sur un plateau. C’est ce que je cherche. Du coup, je suis parti de chercher six hommes qui dansent. Six vieilles âmes. Comment reconnaît-on un homme qui a une vieille âme ? Je n’en sais rien. C’est la rencontre. Je n’ai pas eu de doute quand je les ai vus. J’aurais peut-être en trouver partout, mais j’avais envie d’aller là. Et après, j’ai un amour fort et profond et depuis plus de vingt ans pour Le Caire. Et j’avais beaucoup envie de créer en Égypte.
Vous avez récemment évoqué l’éventualité d’un jumelage entre le Centre Chorégraphique National de Roubaix-Nord-Pas-de-Calais dont vous êtes directeur depuis 2014 et le Centre chorégraphique de danse contemporaine (CCDC) au Caire où vous avez répété et créé la pièce.
La décision est prise. Donc il y a un jumelage à la fois avec l’Ecole des Sable de Germaine Acogny au Sénégal et le Centre chorégraphique de danse contemporaine (CCDC) de Karima Mansour en Egypte. On est en train d’éclaircir le cadre, parce que tout cela est très vaste : cela va de stages, d’ateliers, d’échanges de professeurs, de l’archivage, de la notation, du soutien à la création, jusqu’à permettre à des danseurs d’Egypte et du Sénégal de passer un an à l’école à Roubaix, de pouvoir emmener des jeunes Roubaisiens passer un mois à l’école des Sables pendant un stage et passer deux ou trois semaines au Caire pour voir la réalité ce que veut dire être un danseur dans ces pays-là. C’est aussi pour sortir un livre. Parce que nous partageons cette chose qu’on est à la fois directeur d’un lieu, d’une école, chorégraphe et interprète.
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Souls, chorégraphie d’Olivier Dubois, présentée du 16 au 18 janvier dans le cadre du Festival Faits d’hiver au Tarmac à Paris.