RFI : Laloo Chiba bonjour... Que savez-vous des funérailles d’Etat de Mandela qui se déroulent aujourd’hui à Qunu ?
Je ne connais pas tous les détails mais je sais qu’Ahmed Kathrada accompagne le président de la République Jacob Zuma et qu’il prononcera le principal discours de la cérémonie. Car Kathrada a rencontré Nelson Mandela il y a soixante-sept ans, ils ont été camarades durant tout ce temps. Ils ont mené tant de luttes ensemble ! Et Kathrada est l’un des derniers accusés du procès Rivonia à être encore en vie. Je trouve juste de donner une opportunité à des gens comme lui de rendre, par le biais d’un discours, un dernier hommage à Nelson Mandela.
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Vous étiez vous et Kathrada avec Nelson Mandela à Robben Island. Quelle impression Nelson Mandela vous a-t-il fait en prison ?
C’était d’abord mon commandant en chef. Il était le premier commandant en chef d’Umkhonto we Sizwe, la branche armée de l’ANC. Nous étions 28 prisonniers politiques isolés dans une section, la section B. Quand vous restez dans un espace réduit pendant dix-huit ans avec les mêmes gens, vous avez une bonne idée de leur force et de leur faiblesse. Et Mandela était quelqu’un de très humble. Un exemple. Les prisonniers politiques étaient chargés de nettoyer la prison : le sol, les toilettes, tout. Dans notre section, nous qui étions plus jeunes que Mandela étions très mal à l’aise de voir quelqu’un de plus âgé (Mandela, NDLR) faire les corvées. Mais il a insisté. Il disait je vais me mettre à genoux et je vais astiquer le sol comme tous les autres. Il disait toujours qu’en prison, nous étions tous égaux.
Comment et à quelles occasions, son leadership se manifestait ?
Mandela était notre pilier. Nous l’avons élu à de multiples reprises pour nous représenter quand une délégation étrangère comme la Croix-Rouge nous rendait visite pour recueillir nos doléances. C’est aussi lui que l’on avait élu pour représenter les prisonniers devant les autorités pour obtenir de meilleures conditions de détention.
Quels liens Nelson Mandela entretenait-il avec la religion ? Il était méthodiste, mais il n’a jamais dit que Dieu guidait son action.
Les prêtres, les imams et les pasteurs, nous rendaient visite tous les dimanches, et Mandela assistait à tous les services. Il voulait démontrer par la pratique qu’il respectait toutes les religions. Il faut dire aussi que les services religieux se déroulaient dans la cour, c’était donc aussi une occasion pour les prisonniers de sortir un petit peu.
Dans les townships, de nombreux noirs que nous avons rencontré nous ont dit qu’ils étaient heureux d’être libres et de se déplacer où ils voulaient, mais ils vivent pour beaucoup dans la pauvreté, et pour beaucoup la démocratie n’a pas tenu ses promesses.
Oui et c’est légitime. Mais n’oubliez pas qu’à la veille de la première élection démocratique, des milliards de rands ont fui le pays. Nous avons essuyé une énorme fuite de capitaux, couplée à une fuite des cerveaux. Donc, le régime d'apartheid a mis le pays à genoux, au bord de la faillite. Mais malgré cela, nous avons fait des choses, construit trois millions de maisons. Mais ce n’est pas assez.
Nous avons fait des choses, mais pas assez pour l’homme de la rue qui souhaite aussi la liberté sur le plan matériel. Il veut de la nourriture dans son assiette, un logement décent, la santé et des écoles pour ses enfants. Et nous n’y sommes pas encore. Ce que l’on a fait ne correspond pas aux attentes. Il nous faut corriger cela. Il y a eu un miracle politique en 1994, et nous avons la responsabilité de nous en emparer et de transformer ce miracle politique en miracle social et économique.
Et la corruption dans la classe dirigeante freine la réalisation de ce miracle ?
Il y a beaucoup de choses qui ne vont pas. Et j’espère qu’elles vont être corrigées. La mort de Madiba, je l’espère, a provoqué un sursaut chez des gens. Voilà un homme et voilà quels étaient ses désirs, ses idées, mais certaines choses ont mal tourné. J’espère que les gens, suite à la mort de Mandela, à cette énorme perte, vont se mettre à réfléchir, et que les maux de notre pays vont céder la place à de belles choses.