Ngozi Okonjo-Iweala: «Les Français vont devoir travailler dur pour nous convaincre qu’ils seront de vrais partenaires»

Le sommet de l'Elysée sur la paix et la sécurité en Afrique s'ouvre ce vendredi 6 décembre, à Paris, en présence d'une cinquantaine de chefs d'Etat et de gouvernement, dont le Nigérian Goodluck Jonathan. De quoi satisfaire la France qui voulait justement ouvrir, le plus possible, ce sommet aux pays anglophones. Mais si les Nigérians répondent à l'appel, ils souhaitent de toute évidence un rapport d'égal à égal avec la France. En témoignent les déclarations, cette semaine, de Ngozi Okonjo-Iweala, ministre des Finances du Nigéria et candidate malheureuse à la présidence de la Banque Mondiale. Elle était l'invitée d'Afrique Soir, ce jeudi 5 décembre, et répondait aux questions de Nicolas Champeaux.

Vous avez dit, lors du forum de Bercy, « les Français vont devoir travailler dur s’ils souhaitent que nous travaillons avec eux ». Les Français ne font vraiment pas assez en Afrique, selon vous ?

Je dois d’abord dire que ce forum de Bercy, à Paris, était fantastique. Et je tiens à féliciter le président français, François Hollande, de l’avoir organisé car ce sommet témoigne d’une nouvelle approche de la France en Afrique. J’ai tenu ces propos c’est vrai, car je pense que la France a longtemps rechigné à abandonner ses relations traditionnelles avec certains pays africains au lieu d’adopter cette nouvelle vision.

Donc nous n’étions pas convaincus de l’intérêt de la France, nous ne savions pas si elle voulait vraiment être compétitive en Afrique. Mais cette conférence prouve que la France souhaite vraiment travailler avec nous. Mais comme la France a hésité, les Français - oui - vont devoir travailler dur pour nous convaincre qu’ils seront de vrais partenaires.

Et que doivent faire les Français, en priorité, selon vous ?

Ils doivent poursuivre la voie empruntée aujourd’hui en rassemblant les secteurs publics et privés français et africains, et continuer à tenir ce nouveau discours qui ne repose plus sur une offre d’aide, mais qui montre que la France voit des opportunités en Afrique et souhaite investir.

Et nous voulons surtout des résultats, c'est-à-dire des investissements sur des périodes prolongées, et qui nous profitent. Mon pays, le Nigéria est un grand pays, cent soixante dix millions d’habitants, c’est un gros marché ! Et nous, nous avons encore des défis à relever. Nous devons créer des emplois. Donc il nous faut des investissements et la France, par conséquent, a toutes ses chances.

Quels sont les atouts des entreprises françaises en Afrique face à leur concurrentes chinoises, brésiliennes, indiennes, turques ou encore sud-africaines ?

Eh bien l’avantage c’est que les Français connaissent bien le continent mais c’est à double tranchant, car les gens, quand ils voient une ancienne puissance coloniale en Afrique, peuvent avoir la perception qu’elle se comporte de façon altruiste. Mais oui l’avantage de la France, c’est qu’elle maîtrise l’environnement et de nombreux pays francophones sont limitrophes avec les pays anglophones, donc pour la France l’Afrique de l’Ouest peut être un grand marché régional.

La France dit « Lorsque nous investissons en Afrique, nous employons des locaux, ce qui n’est pas toujours le cas des Chinois ». Etes-vous sensible à cet argument ?

Eh bien, il ne faut pas généraliser avec les Chinois. Au Nigéria, on ne permet pas aux Chinois de venir avec leurs ouvriers avec eux - nous avons assez de Nigérians chez nous pour faire le travail - donc les Chinois n’imposent pas leurs travailleurs dans tous les pays de l’Afrique. Mais là où la France a des atouts, c’est qu’elle sait bien comment les choses fonctionnent en Afrique, elle peut rapidement acheminer des biens et de la capacité technique qui correspondent à nos besoins et à nos défis.

Etes-vous d’accord avec cette sortie du gouverneur de la banque centrale du Nigéria contre les Chinois. Sanusi Lamido a dit « les Chinois s’emparent de nos matières premières et nous vendent des produits manufacturés, c’est l’essence même du colonialisme ».

Pas tout à fait. Je pense que le gouverneur - qui est un ami - exprimait un point de vue personnel. Nous n’avons pas peur des Chinois qui investissent mais ils doivent veiller à ce que les investissements nous bénéficient à nous. Et ils doivent investir en toute transparence, ce qui veut dire que les Africains, les Nigérians et la société civile doivent savoir où les Chinois investissent et pour quels résultats. Les communautés dans les régions où investissent les Chinois doivent être informées.

Nous voulons aussi que les Chinois, au Nigéria et ailleurs, apportent quelques techniciens mais ils doivent surtout embaucher des locaux. C’est à nous - nous les Africains - de saisir l’opportunité de définir nous-mêmes les règles ! On ne peut pas juste se lamenter et dire « ces gens-là viennent nous coloniser ».

Dans le nord du Nigéria, les actes terroristes de Boko Haram et d’Ansaru fragilisent le développement. Avez-vous chiffré le préjudice et quelles solutions préconisez-vous ?

Oui, il y a des dégâts sur l’économie qui nous ont coûté un demi-point de croissance en 2012. Mais la stratégie du gouvernement porte ses fruits. Elle repose sur la contre insurrection - couplée au dialogue - et au développement économique. Car il faut aussi mener des politiques contre l’exclusion. Nous devons créer de l’activité économique pour tous ceux qui sont en bas de l’échelle dans ces Etats du Nord et nous poursuivons ce triple objectif.

Vous étiez candidate à la présidence de la Banque Mondiale mais l’an dernier c’est l’américain Jim Yong Kim qui l’a emporté haut la main. C’était une décision injuste pour l’Afrique ?

Non, ce n’était pas injuste. C’était surtout une grande perte pour le monde !
L’Afrique a affirmé quelque chose de grand lors de cette candidature. Elle a pris au mot les occidentaux qui ont promis que la compétition serait ouverte, mais cela n’a pas été le cas. Mais l’Afrique a brillé, elle s’est jetée dans la compétition et je suis très fière de mon continent. Je pense même que nous avons gagné en montrant que nous avions des gens à la hauteur de ce poste. Ceci étant dit, nous avons désormais Jim Yong Kim à la présidence. Il a tout notre soutien et nous lui souhaitons bonne chance et beaucoup de succès.

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