Au départ, il n'y avait guère que les militaires ayant combattu à ses côtés qui connaissaient le général Aussaresses. Un vieil homme fatigué, portant toujours un bandeau sur l'œil gauche à la suite d'opérations de la cataracte ayant toutes échoué.
Alors que les généraux Bigeard et Massu étaient des figures très connues en France, il a fallu attendre que Paul Aussaresses se livre d'abord au journal Le Monde à la fin de l'an 2000, puis qu'il publie dans la foulée ses mémoires (Services spéciaux, Algérie : 1955-1957, mon témoignage sur la torture chez Perrin, 2001 ; Je n'ai pas tout dit avec Jean-Charles Deniau, éditions du Rocher, 2008) pour qu'on découvre à la fois l'homme et ses activités en Algérie.
Pendant deux ans, de 1955 à 1957, il avait en effet dirigé sur place les services spéciaux français. Et à ce titre, il avait commandé un escadron de la mort chargé des pires exactions : arrestations nocturnes, tortures, exécutions sommaires... Il y avait gagné le surnom de « commandant O », qui faisait frémir, tant était grande son intransigeance. Aussaresses a été un militaire d'une implacable efficacité.
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Aujourd'hui, la plupart des acteurs de l'époque sont morts ou ils se taisent, mais le général Aussaresses lui-même s'est confié sur la longueur, et c'est précisément ce qui a fait scandale.
Il a raconté qu'à son arrivée en Algérie, la torture était déjà généralisée, et qu'il s'y était résolu. Pas par goût, pas par choix, sans états d'âme ni remords, juste parce qu'il ne pouvait pas faire autrement et que cela faisait souvent gagner du temps.
Il a aussi expliqué que ce système était validé par le pouvoir politique, qui incitait les officiers de terrain à obtenir des renseignements par tous les moyens nécessaires. Le général prétendait ne pas avoir torturé lui-même mais avoir couvert ses hommes. On peut légitimement en douter. En revanche, il reconnaissait avoir procédé à des exécutions sommaires.
Il a notamment pendu Larbi Ben M'Hidi, considéré en Algérie comme un résistant de la même stature que Jean Moulin. Il a aussi fait précipiter dans le vide Ali Boumendjel, un avocat engagé auprès du FLN. Paul Aussaresses assumait la mort de 24 personnes.
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Les plaintes déposées contre lui ne lui faisaient pas peur, il avait pour lui la loi et les ordres reçus. Au sujet des sanctions réclamées par Jacques Chirac, il en a « vu d'autres », disait-il. Pourtant, son parcours de vie antérieure ne prédestinait pas Paul Aussaresses à de telles dérives, lui l'humaniste, né dans une famille bourgeoise du sud-ouest de la France.
Son père était un haut fonctionnaire, ami de Colette. Lui-même était un latiniste, primé au Concours général, et un fin lettré. Il s'était très vite engagé dans la Résistance car il détestait le maréchal Pétain. Il a d'ailleurs accompli plusieurs actes très courageux pendant l'Occupation : d'abord, en libérant un haut gradé interné par Vichy dans un camp en Ardèche, puis en sautant au-dessus des maquis de l'Ariège, et enfin en se faisant parachuter au-delà des lignes allemandes en avril 1945 pour ouvrir les camps de déportés.
Autant d'actes de bravoure qui lui ont valu de recevoir la Légion d'honneur à l'âge de vingt-neuf ans seulement, une décoration dont il a été déchu par la suite sur ordre de Jacques Chirac. En 1957, il a été appelé en Algérie par Massu, qui pratiquait depuis longtemps la torture. S'il était resté en Indochine auprès du général Pâris de la Bollardière, qu'il vénérait, et qui était totalement opposé à cette pratique, son destin en aurait peut-être été totalement changé.
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Après la guerre d'Algérie, pour le commun des mortels, autrement dit pour les non-initiés, le général Aussaresses a disparu des radars. Il a d'abord enseigné aux Etats-Unis les « techniques de la bataille d'Alger » - on voit bien ce que cela veut dire - , notamment dans le camp des « bérets verts » de Fort Braggs en Caroline du Nord. Puis, il a pris la tête du 1er régiment de chasseurs parachutistes en 1966, avant de devenir attaché militaire au Brésil, à une époque où ce pays était sous le contrôle de l'armée.
Enfin, il a travaillé chez Thomson, où sa route a croisé un temps celle de Christine Deviers-Joncour, quand cette dernière essayait de vendre des frégates à Taïwan. Et au bout d'une très longue vie, il meurt fâché avec tout le monde. Avec sa première épouse, une ancienne du réseau Brutus de Gaston Defferre, décédée peu après ses révélations. Avec ses filles aussi, qui ne lui ont pas pardonné. Avec le général Bigeard enfin, ainsi qu'une grosse partie de l'armée, des militaires qui lui ont toujours reproché d'avoir retourné le couteau dans la plaie... Le général Aussaresses s'était remarié en 2002 avec une autre grande résistante, d'origine alsacienne, qui ne voulait voir en lui que l'ancien héros de la France libre.
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■ RÉACTIONS
Le général Aussaresses était un homme froid, glacial, sans émotion. C'est le souvenir que garde Louisette Ighilariz, ancienne militante algérienne du FLN, torturée et violée à l'âge de 20 ans en 1957 par les hommes de Bigeard. A l'époque, elle a croisé plusieurs fois Paul Aussaresses. Elle a également témoigné contre lui à son procès, à Paris (. Aujourd'hui âgée de 77 ans, elle ne regrette qu'une chose, qu'il n'ait jamais exprimé de regrets.
Tramor Quemeneur, spécialiste de la guerre d’Algérie, revient sur le système de répression mis en place en Algérie par Aussaresses avec le général Massu.