Les espoirs des collectifs d’auteurs francophones

Qu’est-ce qui caractérise le travail en collectif pour des auteurs dans l’espace francophone ? La question a été posée à cinq collectifs d’auteurs de trois continents qui se sont donné rendez-vous lors de la 30e édition des Francophonies en Limousin (26.9.-5.10.) pour partager leurs expériences et leurs créations.

Qu’est-ce qui réunit des auteurs aussi divers qu’Aristide Tarnagda, Marcelle Dubois, Soeuf Elbadawi, Julie Gilbert et Fiston Nasser Mwanza ? Ces écrivains originaires du Burkina Faso, du Québec, des Comores, de la Suisse et du Congo ont tous décidé d’appartenir à un collectif d’auteurs.

« On est toujours mieux à plusieurs, explique l’auteur, comédien et metteur en scène burkinabè Aristide Tarnagda sa décision de faire partie du collectif Le Cercle au Burkina Faso. On est plus fort quand on est à deux ou à trois ou à quatre. On manquait d’espace de rencontres pour des confrères, des gens qui écrivent au pays et à qui tu peux donner ton texte et puis tu lui dis en toute confiance :’ fais-moi des retours’. Ce sont ces nécessités de s’ouvrir aux personnes immédiates qui sont dans la même ville, le même pays et qui pratiquent le même métier. C’est pour cela qu’on a voulu de mettre en place un collectif d’auteur. »

« C’est une écriture qui rencontre tout de suite l’ailleurs »

Au Festival, Tarnagda présentait sa dernière création Et si je les tuais tous madame ? où tout un continent semble prendre la parole. Le fait de s’engager dans un collectif, est-ce que cela change l’écriture ? « Non. Le but n’est pas de changer l’écriture, mais cela la questionne et dynamise. Cela la fait sortir. Il y a tout de suite une part autre que moi. C’est une écriture qui rencontre tout de suite l’ailleurs au lieu d’attendre des amis qui sont loin, des metteurs en scène ou des maisons d’édition qui ont besoin de temps avant de lire les textes. Sur place, on peut trouver tout de suite quelqu’un. »

L’auteure suisse Julie Gilbert fait partie du collectif Nous sommes vivants qui réunit cinq auteurs suisse-romands pour promouvoir la littérature suisse-romande -pratiquement inconnue hors des frontières. En rigolant, elle insiste que leur collectif n’est pas la preuve d’une Suisse en crise : « Non, c’est justement l’inverse, dit-elle en riant. Peut-être parce qu’on a trop d’argent, trop de montagnes, trop de lacs… c’est aussi compliqué d’écrire en Suisse. Non, l’idée est d’être ensemble pour s’épauler, de travailler à deux, à trois, à quatre ou à cinq. Et puis découvrir les écritures des autres et de les porter. De ne pas être dans une démarche individualiste. À Limoges, ils ont présenté une lecture-performance avec une écriture jouissive, joyeuse et mordante. Le collectif change-t-il le processus d’écriture ? « Je ne pense pas qu’on soit plus efficace ou plus productif, mais on est ensemble. »

Chercher ensemble

C’est la directrice des Francophonies en Limousin qui avait l’idée d’inviter des collectifs d’auteurs de l’espace francophone pour regarder l’écriture, les auteurs, le théâtre et la francophonie d’une autre manière. « C’est vraiment quelque chose qui se passe actuellement et qui est très intéressant à suivre, confirme Marie-Agnès Sevestre. Beaucoup d’artistes, et en particulier les auteurs, se mettent à chercher ensemble des moyens de s’exprimer. Et en même temps de produire sans passer par les lourdeurs institutionnelles et parfois éternelles. En Afrique, ils sont beaucoup à travailler de cette manière. Et maintenant, en Europe et en Amérique du Nord, peut-être à cause de la crise, les mêmes phénomènes sont perceptibles. »

Lors de la Soirée des manifestes aux Francophonies, des représentants de cinq collectifs de trois continents prenaient la parole dont Marcelle Dubois, auteure et metteure en scène québécoise du collectif Le Jamais Lu, né il y a treize ans : « On voulait créer une scène pour les auteurs de la relève, parce que les éditions étaient très saturées, très fermées. Et finalement, de fil en aiguille, on est devenu une tribune pour des textes de théâtres, mais aussi des cabarets, des opéras rock. Maintenant on fait un festival à Montréal, des événements qui partent en tournées, bref, on est toute une bande qui se suit. Je ne sais pas si on écrit autrement, mais je sais qu’on écrit avec l’espoir d’être entendu. Et donc cela donne du courage. Et donc on écrit plus, conclut-elle en riant.

Moziki littéraire

L’auteur congolais Fiston Nasser Mwanza vit depuis quelques années à Graz en Autriche où il prépare une thèse en littérature. Le collectif Moziki littéraire est pour lui le meilleur moyen de rester en contact et d’échanger avec les deux auteurs Marie-Louise Bibish Mumbu, basée à Montréal, et Papy Maurice Mbwiti, basé à Kinshasa. Dans la société congolaise, Moziki dénomme une association de femmes qui font des ristournes pour collecter de l’argent et financer leur projet. « Notre Moziki à nous c’est qu’on écrit chaque fois sur un thème donné et le site Africultures sert comme un relais en publiant ce texte. L’idée est de jeter un pont entre nos pays, mais on y trouve aussi nos personnalités. »

Naturellement, se mettre en collectif ne suffit pas pour résoudre tous les problèmes. Par exemple, lors de la Soirée des manifestes, Aristide Tarnagda est monté tout seul sur scène, parce que les trois autres membres du collectif « n’ont pas pu avoir les billets d’avion… Malheureusement, ils ne sont pas burkinabè, donc ils n’ont pas pu effectuer le déplacement ».

« Chacun poursuit son chemin tout seul »

Une histoire autrement triste et bien malgré lui a dû raconter Soeuf Elbadawi. Il y a deux ans, les neuf membres de son collectif Djando La Maandzishi ont accepté avec enthousiasme de faire le voyage des Comores à Limoges pour présenter leur travail. Hélas, enfin arrivé au 30e Festival des Francophonies, il était pratiquement obligé d’enterrer publiquement son propre collectif. Il ne reste plus que deux membres et la dissolution est prévue en fin d’année : « On pensait que dans une période aussi difficile que celle que le monde vit actuellement, nous serions plus fort, plus serein, en étant ensemble. Mais cela n’a pas marché, parce qu’on est dans un pays qui est déchiré et qui fait que nous-mêmes nous n’arrivons plus à construire un projet ensemble. Chacun poursuit son chemin tout seul. Cela n’est plus possible de parler d’un destin commun, mais cela est valable aussi bien pour les auteurs que pour toute la vie d’un pays. »

Au final, Soeuf Elbadawi a bien voulu venir à Limoges pour partager courageusement son expérience. Et vu les applaudissements et encouragements venus des autres collectifs et du public du festival, ce n’est pas sûr que le dernier mot soit déjà dit : « C’est une chose que je pourrai ramener chez moi afin de dire à mes camarades que peut-être il faut reprendre du service et que ce n’est pas parce que nous avons échoué une première fois qu’il faut tout arrêter. »

 

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