« Il faut créer un autre cinéma ». La phrase dite par le réalisateur éthiopien Haile Gerima à son bureau à l’université américaine Howard où il enseigne le cinéma ouvre le documentaire Imaginaires en exil. « C’est ça qui m’intéresse beaucoup, explique la réalisatrice Daniela Ricci, voir les différences des cinémas. Je ne voulais pas rester dans un langage dominant ou dans des stéréotypes ou une norme, mais de voir comment on peut aujourd’hui exprimer un certain métissage culturel. »
Gerima qui avait remporté en 2009 avec Teza l’Étalon d’or du Fespaco révèle que c’était un film d’Ousmane Sembène qui l’avait réellement fait prendre conscience de son identité : « C’était la première fois que je voyais un film africain où les Africains étaient Africains, des problèmes africains racontés dans une langue africaine. J’ai failli avoir une crise cardiaque… Cette nuit-là, j’ai commencé à écrire Harvest 3000 years en amharique. Ce fut pour moi une réelle révolution. »
« Noir, c’est toujours une catégorique politique »
Cinq cinéastes africains en exil se sont prêtés au jeu de la réalisatrice italienne qui vit à Paris : Jean Oudoutan, Dani Kouyaté, Newton Aduaka, Haile Gerima et John Akomfrah qui déclare d’entrée : « Noir, c’est toujours une catégorique politique ». « C’est un point important, explique la réalisatrice, parce que les cinq cinéastes sont noirs et se retrouvent dans des sociétés où ils sont considérés comme une minorité. Leur rêve c’est surement d’arriver un jour à ne plus regarder la couleur de la peau, mais on est encore là, donc « noir » est une catégorie politique dans le sens où c’est une catégorisation et une marque esthétique extérieure très forte qui donne une image à la personne. Après il y a aussi le fait que tous viennent des ex-colonies… »
D’avoir cerné et retrouvé le déclic de l’engagement cinématographique de ces grands cinéastes est le grand mérite de Imaginaires en exil. Face à la caméra, le réalisateur et griot burkinabè Dani Kouyaté qui vit en Suède explique : « En tant que griot, j'ai la possibilité de m'adresser à toute l'humanité. » Et le Nigérian Newton Aduaka ajoute : « Je suis africain, on nous a séparés de notre culture » et déclare par rapport au personnage du métisse dans Rage : « Il n’a pas de problème, c’est la société qui a un problème. » Né au Biafra pendant la guerre, exilé à Lagos et vivant aujourd’hui à Paris, Newton admet qu’il s’est senti toute sa vie à la marge de la société.
« Conquérir sa place »
Un chapitre du film est intitulé : « Conquérir sa place ». Est-ce que la situation de ces imaginaires s’est améliorée ? Daniela Ricci est catégorique : « C’est très intéressant que ces films puissent exister, mais, en fait, je ne vois pas une très grande évolution dans les sociétés. »
C’est là où l’existence du Festival de la diaspora africaine prend tout son sens, réagit Diarah N’Daw-Spech, la codirectrice du festival qui a programmé Imaginaires en exil : « Quand on est dans une société qui est multiraciale et multiculturelle et qu’on fait partie des minorités, un moment donné, il y a des restrictions qui sont appliquées. L’artiste essaie d’aller au-delà de ces restrictions. On est marginalisé, on est mis de côté. On n’est pas au centre, ni par rapport aux histoires qui sont racontées, ni au niveau des préoccupations. Nos problématiques, nos questionnements, ne sont pas particulièrement intéressantes pour le centre. Alors, il faut chercher un moyen pour s’exprimer, de se trouver une identité, de se créer un bien-être dans un contexte qui n’est pas favorable. C’est cela que les réalisateurs expriment. »
Le Festival International des films de la diaspora africaine
La fiction inédite Derrière les portes fermées du Marocain Mohammed Ahed Bensouda ouvre ce vendredi 6 septembre le festival avec un sujet sur le harcèlement sexuel au travail. Dans Tango Macbeth, l’Afro-Américaine Nadine M. Paterson se réapproprie cette pièce classique « avec un casting multiculturel et multiracial ». Et la discussion avec la réalisatrice américaine Yvonne Welbon après la projection de son film Sisters in Cinema, tourné en 2003, permettra de mesurer l’évolution la présence de réalisatrices afro-américaines à Hollywood et dans le cinéma américain en général depuis, promet Diarah N’Daw-Spech : « Les choses s’améliorent un peu aux États-Unis. Aujourd’hui il y a quelqu’un comme Ava Marie DuVernay qui a été primée en 2012 au Sundance Film Festival [la première femme afro-américaine qui a gagné le prix du meilleur réalisateur pour Middle of Nowhere, ndlr]. Elle fait un travail intéressant pour la diffusion de ce cinéma aux États-Unis. Cela s’améliore petit à petit, on trouve des créneaux et on trouve une meilleure compréhension et acceptation du fait qu’il est aussi bien important dans le milieu de Hollywood que dans le milieu de l’Art et Essai d’incorporer une plus grande diversité des images. C’est un problème fondamental. »
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Le 3e Festival International des films de la diaspora africaine, du 6 au 8 septembre 2013 à Paris.