Quand avez-vous appris que vous figuriez sur la liste de personnalités qu’Ansar al-Charia projetait d’assassiner ?
Quand le ministère de l’Intérieur m’a informé il y a deux semaines à peu près. Depuis, je suis sous surveillance policière. C’est le cas des autres, ou peut-être [même] plus serrée pour les autres.
Vous avez été surpris quand vous avez appris que vous étiez sur cette liste ?
Surpris non, mais je n’ai pas bien apprécié l’info bien sûr, parce que c’est une menace [sur ma] vie. Cela peut réduire un peu mes activités et mes déplacements.
Et cela vous a fait froid dans le dos ?
Je ne suis pas dans la peur. Je sais qu’en tant que militant dans un mouvement qui milite pour installer une vraie démocratie en Tunisie, ça peut coûter cher, peut-être jusqu’à le payer de notre vie.
Etes-vous surpris de l’ampleur des opérations que préparait Ansar al-Charia, des assassinats, des attentats, révélés par le ministère de l’Intérieur ?
Ces groupes sectaires, ils sont menaçants partout dans le monde.
Comment ce groupe a-t-il pu se structurer, s’équiper, se financer, s’armer aussi longtemps, sans être inquiété par les autorités tunisiennes ?
Les autorités tunisiennes suivent de près. Il y a pas mal des centaines de personnes arrêtées dans les prisons tunisiennes d’un côté. D’un autre côté, nous sommes juste à côté de la Libye où il y a plein d’armes dans la rue. Il y a aussi le problème du Mali. C’est une zone de passage des armes et des groupes terroristes. Donc notre gouvernement, nos autorités, essaient avec leurs moyens de préserver la paix et la sécurité des citoyens.
Mais les autorités tunisiennes ont eu plusieurs fois l’occasion d’arrêter Abou Iyadh, le chef d’Ansar al-Charia, notamment suite à l’attaque contre l’ambassade américaine de Tunis, il y a maintenant un an, le 14 septembre 2012. Et ils ne l’ont pas fait...
Il est toujours recherché, ils le suivent avec des mandats, - national et international. Par exemple, on peut parler de ce qui s’est passé à la mosquée al-Fath.
Qui était entourée de plusieurs centaines de policiers alors qu’Abou Iyadh se trouvait à l’intérieur...
Oui. Le jour même de ces évènements, il y avait des centaines de personnes à côté et en pleine rue. Ils ont donc évalué que c’était dangereux de faire un assaut sur la mosquée car il aurait pu y avoir beaucoup de victimes et de morts.
II y avait eu également une perquisition à son domicile et les policiers ne l’ont pas arrêté...
Il y a eu des perquisitions mais ils ne l’ont pas trouvé.
Les révélations sur les projets d’Ansar al-Charia ont eu lieu lors d’une conférence de presse organisée par le ministre de l’Intérieur, le lendemain d’une déclaration du Premier ministre. Et tout cela intervient alors que le gouvernement est fragilisé par une grève de 60 députés et par un sit-in. Est-ce que vous ne cherchez pas, par ces déclarations, à détourner l’attention ?
Le gouvernement est fragilisé. Il y a beaucoup de pourparlers, des négociations sur la situation politique, sur le sort de la crise politique. Le devoir du gouvernement, jusqu’à la dernière minute, c'est de défendre la sécurité des citoyens et la sécurité du pays.
Alors les membres d’Ansar al-Charia, selon le parti Ennahda, sont aujourd’hui des terroristes. Mais il y a un an, le chef d’Ennahda considérait qu’il s’agissait de personnes qui pouvaient prendre le chemin de la modération. Le discours d’Ennahda a tout de même sensiblement évolué...
Pour nous le dialogue est toujours la première solution avec tous les jeunes. Quand il y a des jeunes, on essaie de les convaincre pour qu’ils suivent le chemin de la loi, pour qu’ils travaillent dans le cadre de la loi, pour créer des associations ou avoir des autorisations de partis politiques. C’est la priorité. Mais si des personnes insistent et s’engagent dans le terrorisme, dans ce cas, il faut appliquer la loi avec toute la rigueur qu’il faut.
Mais tout de même, Ennahda a longtemps été indulgent et bienveillant vis-à-vis des membres d’Ansar al-Charia qui sont populaires chez certains de vos partisans et même pour certains de vos députés.
Non. Ce sont des articles de journaux, à droite à gauche, qui disent n’importe quoi. Les choix stratégiques du mouvement Ennahda, c’est d’installer la démocratie avec les partenaires. Et donc on ne peut qu’être fermes contre le terrorisme.
Donc les députés Ennahda qui ont par le passé participé à des congrès d’Ansar al-Charia n’ont pas votre approbation ?
Le sujet est compliqué. On ne peut pas le traiter de façon simpliste parce que il y a des centaines de jeunes qui croient faire partie d’Ansar al-Charia. Peut-être qu'ils ne font pas partie de l’aile terroriste et militaire d’Ansar al-Charia. Ils font des conférences et appellent à la pratique religieuse. Mais là, maintenant avec la décision du gouvernement de considérer Ansar al-Charia comme une organisation terroriste, finalement, ces jeunes doivent choisir : ou bien ils insistent dans cette organisation considérée terroriste et donc, il va y avoir des suites judiciaires ou bien comme des citoyens, ils ont les pleins droits pour exposer leurs idées, leur approche d’une façon civile, pacifique.