Quand on interroge les Tchadiens sur Hissène Habré, des drames familiaux refont régulièrement surface. « J'étais jeune pendant les années 1980, raconte par exemple un trentenaire originaire du sud du pays. Mais j'étais terrifié. Mon père disait : " on est en rébellion contre Habré ". Mon grand frère a été fusillé en ma présence. Dans mon village, on a oublié le nom de ceux qui ont tiré sur nos parents, mais personne n'a oublié le nom des FAN, les Forces Armées du Nord, ou celui d'Hissène Habré ».
Pour beaucoup de Tchadiens, la période de 1982 à 1990 a été une période de méfiance et de peur : « On ne pouvait pas discuter de politique, se souvient l'intellectuel, Caman Bédaou Oumar, de peur d'être trahi et arrêté. On discutait donc des victoires de l'armée vis-à-vis de la Libye, des choses positives, mais les choses négatives on les gardait pour soi. »
Chez les jeunes qui n'ont pas connu Habré, la mémoire familiale semble s'être transmise : « De nombreux jeunes d'aujourd'hui n'étaient pas nés à l'époque, analyse le rappeur tchadien Sultan, mais comme il y a eu beaucoup de victimes dans les familles, la jeunesse a hérité de cette période là. »
Hissène Habré a tout de même su conserver des soutiens au sein de la société tchadienne. Notamment au sein de sa communauté d'origine, les Gorane. Il y a aussi ceux qui, sans excuser les exactions, reconnaissent à l'ancien président d'avoir protégé le territoire tchadien des appétits de ses voisins. Et puis il y a ceux qui critiquent le système, plus que l'homme. « Il était président, il ne pouvait pas être derrière les services de sécurité pour tout voir, estime un membre de la société civile de Faya Largeau. Il y a des choses dont lui même ne pouvait pas être au courant, dit cet interlocuteur, il avait donc des complices qui doivent aussi être jugés ».