Hypothétique retour de la paix au Mali, selon Michel Galy

Le président français, François Hollande, a salué, mercredi 19 juin, une «excellente nouvelle» qu’il a qualifiée d’«avancée majeure pour sortir de la crise». Il n’a pas été le seul à se réjouir de l’accord passé à Ouagadougou entre le gouvernement malien et les mouvements touaregs qui contrôlent la ville de Kidal. Le texte est applaudi également par Washington et par le Conseil de sécurité de l’ONU. Cet optimisme est-il raisonnable ? Michel Galy, professeur de géopolitique à l’Institut des relations internationales à Paris, auteur de La Guerre au Mali, affiche un optimisme plus mesuré.

RFI : L’accord signé à Ouagadougou doit permettre le retour à Kidal de l’administration et de l’armée malienne, pour que la présidentielle ait lieu comme prévu, le 28 juillet...

Michel Galy : Oui, tout à fait. Il y a les deux objectifs. C'est-à-dire permettre que cette sorte de Cité-Etat touarègue, une petite ville au nord-est du Mali tenue par les Touaregs soit, en quelque sorte, réinvestie partiellement par l’armée malienne et l’administration. Kidal, au fond, ce n’est pas grand-chose.

Mais c’est un symbole pour l’opinion nationaliste malienne. Et tout ça en vue de permettre des élections, puisque, ce n’est pas un secret, il y a un pouvoir très faible à Bamako, un président par intérim… Les puissances extérieures comme la France et les Etats-Unis, veulent un pouvoir légalisé par des élections présidentielles, même imparfaites.

Alors, retour de l’armée et de l’administration malienne à Kidal, et puis, troisième grand point de cet accord, c’est le désarmement des rebelles touaregs...

Oui, alors là c’est plutôt compliqué. C’est même paradoxal, puisque, dans cette petite ville du nord du Mali, il y aura les groupes touaregs - ils sont deux, notamment le MNLA - et il y aura la force française - la force Serval-, il y aura la Misma, la Minusma – la force internationale – et puis l’armée malienne. Donc ce sont au moins quatre groupes qui seront cantonnés, et pas désarmés, pour le moment. Mais peut-être le seront-ils progressivement, après les élections.

L’entourage du président malien Dioncounda Traoré affirme que c’était « ça ou rien ». Que s’il n’y avait pas eu d’accord, le Mali serait allé droit dans le mur. Est-ce que c’est aussi votre analyse ?

Oui et non. Parce que c’est surtout symbolique, comme je le disais tout à l’heure. Il ne faut pas oublier que c’est une négociation entre les Touaregs et le gouvernement malien, qui est très faible. Donc, il y a une très forte pression internationale. Et il y a, en quelque sorte, le tiers exclu, les mouvements jihadistes. C'est-à-dire Aqmi, Ansar Dine, le Mujao, etc. Evidemment, ils ne sont pas partie prenante dans ces accords de Ouagadougou. Ils risquent de perturber les élections.

On a donc affaire à un accord très global. Mais comme souvent, le diable va se nicher dans les détails...

Oui. Vous vous souvenez des accords de Ouagadougou, déjà, entre les rebelles de Côte d’Ivoire et le gouvernement loyaliste. Ça a tenu un moment, puis ça a fini en guerre civile très aiguë, en crise postélectorale. Evidemment, on ne souhaite pas ça au Mali. Mais enfin voilà, après les élections, tout est à faire par le nouveau président… Avec, d’un côté, les Touaregs - ça, c’est pratiquement acquis. Et de l'autre avec les jihadistes, ces groupes islamistes armés - ça, ce sera beaucoup plus difficile. Et ce sera quand même un pays sous tutelle, avec un Etat et une armée malienne très faible et une armada internationale, au contraire, très forte.

Certains doutent déjà de la sincérité des signataires. Pensez-vous que le gouvernement, d’un côté, et les rebelles touaregs, de l’autre, tiendront parole ?

C’est certain. Il y a beaucoup d’arrières pensés. Les rébellions touarègues successives depuis 1963 ont souvent été noyées dans le sang. Donc, il y a un risque pour les populations civiles, par exemple. Et puis, ce sont des mouvements touaregs - islamistes aussi d’un autre côté - qui sont très mouvants, avec des transferts de combattants d’un groupe à l’autre, vers Ansar Dine, par exemple.

Et puis il ne faut pas oublier que les Touaregs, par exemple, revendiquent un Etat par delà les frontières. Donc, quand ils sont dans un pays, ils risquent certainement de passer les frontières, comme l’ont déjà fait les jihadistes en attaquant l’Algérie, en attaquant récemment le Niger. C’est donc un ensemble très mouvant, à la fois dans la géopolitique régionale et dans les groupes armés ou politiques eux-mêmes.

Et beaucoup de questions se posent aussi sur les armes. Les rebelles du MNLA, en guise de désarmement, pourraient se contenter de remettre des armes hors d’âge, des mitraillettes obsolètes, histoire de dire : "Regardez ! On a fait notre part du travail. A vous, les autorités maliennes, d’en faire autant..."

Oui. Dans ces sortes de pseudo désarmement, c’est un jeu assez courant. Alors, aucun acteur n’est dupe. Ça dépend des volontés politiques. Comme on le disait, il peut y avoir effectivement des transferts de combattants et d’armes en dehors des frontières du Mali, puisqu’elles sont au fond très, très poreuses. Et puis, il pourrait y avoir des reprises d’hostilité, peut-être partielles, après les élections. Des élections qui se passent le 28 juillet, en pleine saison des pluies. Elections qui seront elles-mêmes très difficiles à mener sur le plan technique.

Si l’on résume l’ensemble de votre propos, Michel Galy, le retour de la paix au Mali, en tout cas dans cette région nord, reste pour l’instant bien hypothétique ?

Oui. Disons que je serai d’un optimisme modéré, mesuré, jusqu’à la fin des élections présidentielles. Et ensuite, il y a toutes chances qu’effectivement, on soit dans un état de « ni guerre, ni paix », non seulement au Mali, mais, au fond, dans toute l’Afrique de l’Ouest, de manière très large, depuis le Sahara Occidental du Polisario jusqu’à la Somalie, ou bien le Nigeria. Vous voyez, toutes ces zones dont les combattants sont venus s’investir dans la guerre au Mali.

La Guerre au Mali, aux Editions de La Découverte, 2013.

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